vendredi 30 mars 2012

Cinéma : La polygamie, une comédie dramatique

Projeté le 28 mars dernier à l’Institut Goethe à Yaoundé, « Le mariage d’Alex » de Jean-Marie Teno raconte un mariage polygamique où, derrière les sourires et la résignation, se cachent des drames.
L'affiche du film.
Jean-Marie Teno est coutumier du fait : faire un film sans l’avoir planifié. En vacances dans son village Bandjoun, à l’ouest du Cameroun, le cinéaste est sollicité par son voisin pour filmer son mariage. De ce travail de vidéaste, réalisé dans des conditions techniques dramatiques, avec des décors et les lumières naturels, sans aucune mise en scène, Teno a pu faire un film cinématographique. Un documentaire qui, s’il est catastrophique sur le plan de la technique, ne manque pas d’émouvoir et d’interpeller par son thème : la polygamie. Occasion pour le documentariste de montrer, une fois de plus, qu’il est bon dans l’improvisation.
Après 18 ans de mariage et six enfants, Alexandre décide de prendre une seconde épouse, pour réaliser l’ambition de sa vie : avoir vingt enfants. Le film montre Alex qui va prendre sa nouvelle femme chez ses parents et la conduit dans sa nouvelle demeure. Mais tout concourt à faire de cette soirée que le réalisateur a filmé, une comédie, qui, malgré les cris de joie, la nourriture abondante, les rires tonitruants, la musique partout présente, couve le drame d’une vie. Ou plutôt de trois : celles d’Alex le mari, d’Elise sa première épouse et de Joséphine, la nouvelle mariée. Teno a la polygamie en horreur. Né lui-même dans une famille polygamique, il dédie son film à sa mère hier, à Elise et à Joséphine aujourd’hui et à sa fille demain. Dès lors, toute sa démarche sera de trouver des éléments pour corroborer son point de vue. Même si, quelques fois, ces éléments ne sont pas aussi évidents qu’il voudrait le faire croire au spectateur. Ce qui laisse une impression de neutralité qui, en réalité, est fausse.
Les protagonistes
Les protagonistes de ce mariage se prêtent bien au jeu. D’abord, c’est le pasteur venu bénir le mariage qui annonce la couleur en assenant : « Aimer, c’est conjuguer le verbe supporter à tous les temps, et jamais à la forme négative ». Ensuite, c’est Elise, la première épouse, dont la couleur bleue de son tailleur renvoie à un signe de deuil chez les bamiléké, ce peuple de la région de l’Ouest dont il est question dans ce film. Fait-elle le deuil de la relation privilégié qu’elle a jusqu’ici eu avec son mari ? Car, elle a beau savoir qu’avec un titre de notabilité, Alex est destiné à être polygame, son sourire demeure  crispé. Mais une fois qu’elle se sent en terrain conquis, elle se lance dans la bataille en titillant sa co-épouse, avec un sourire perfide. Ses non-dits parlent pour elle de sa frustration. 18 mois après ce mariage, on la retrouve avec 15Kg en plus.
Joséphine, elle, doit passer sa nuit de noce seule. Entre le célibat et la polygamie, elle a choisi ce qui lui semblait être le moindre mal. Dès le premier soir, elle se sent exclue et pressent que rien, dans sa vie, ne sera plus comme avant, et qu’il va falloir batailler dur pour se frayer une place dans sa nouvelle famille. Son insistance sur l’acte de mariage, qu’elle qualifie de « titre foncier, assurance-vie », est révélateur de ce manque de confiance qu’elle a en l’avenir. Alex, le coq de la basse-cour, est plus réservé. Face à la caméra, il annone plusieurs fois des « tout va bien ». Mais dans sa bouche, ces « il n’y a pas de problèmes » qu’il veut rassurants disent tout le contraire. Il décrète qu’il fait d’Elise sa reine, comme pour mieux l’enfermer dans sa tour pour pouvoir jouir de son nouveau mariage. Sa nuit de noce, il va la passer avec ses amis, qui se lancent dans des commentaires pour justifier cette violence faite aux femmes. Avec des arguments plats du genre : « Un seul doigt ne peut pas prendre la viande dans la marmite » ; « sur la planète terre, il y a plus de femmes que d’hommes ».
Jean-Marie Teno
Journaliste de formation, Jean-Marie Teno, né le 14 mai 1954 à Bandjoun, fait du cinéma-vérité. S’il manipule le spectateur pour lui faire partager sa vision de la polygamie, si le montage privilégie des images qui corroborent sa thèse, c’est pour la bonne cause. Car, il dénonce une violence qui continue à être faite à des milliers de femmes sous le couvert de la convention sociale. Cependant, le regard de Teno est à la fois critique envers la pratique et tendre envers ses pratiquants. Sa famille, au sens large du terme. Il n’est pas un témoin muet, sa caméra, son commentaire parlent pour lui. A la faveur du christianisme, de la modernité et de la cherté du coût de la vie, la pratique polygamique tend à diminuer. Officiellement. Mais qu’en est-il des maîtresses et autres « bureaux » ?
Stéphanie Dongmo

Filmographie de J-M Teno
1983 : Schubbah (court métrage)
 1985 : Hommage (court métrage)
 1985 : Fièvre jaune taximan (court métrage)
 1987 : La Gifle et la Caresse (court métrage)
 1988 : L'Eau de misère (documentaire)
 1990 : Le Dernier Voyage (court métrage)
 1991 : Mister Foot (documentaire)
 1992 : Afrique, je te plumerai... (documentaire)
 1996 : La Tête dans les nuages (court métrage)
 1996 : Clando (long-métrage de fiction)
 1999 : Chef ! (documentaire)
 2000 : Vacances au pays (documentaire)
 2002 : Le Mariage d'Alex (documentaire)
 2004 : Le Malentendu colonial (documentaire)
 2009 : Lieux saints (documentaire)



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire