mardi 31 juillet 2012

Distribution : Des vidéastes optent pour la proximité


Transformés en vendeurs ambulants au Cameroun, ils proposent eux-mêmes leurs films dans la rue en misant sur leur notoriété pour attirer la clientèle. Ce commerce informel a pour but de créer une industrie du film. Mais la médiocrité des productions, l’amateurisme des auteurs et l’inorganisation du secteur rendent la tâche difficile. 

Une vendeuse propose le Dvd original de Sur la route d'un ange dans un bar.

Depuis 2009, le Cameroun ne compte plus aucune salle de cinéma ; le secteur de la distribution de films est presqu’inexistant ; les chaînes de télévision n’achètent pas les films locaux ; les pouvoirs publics ont démissionné ; il y a une réelle désaffection du public… Le cinéma camerounais est en crise. Le critique de cinéma Guy Jérémie Ngansop l’a écrit en 1987, la situation s’est encore dégradée aujourd’hui. 
Dans ce contexte de crise, les réalisateurs reconnus semblent avoir baissé les bras face à la perspective peu réjouissante de faire des films dans des conditions difficiles, sans aucune garantie qu’ils seront exploités. Pendant ce temps, d’autres moins connus, moins talentueux et moins expérimentés, mais certainement plus jeunes, plus inventifs et plus débrouillards ont retroussé leurs manches. De manière désorganisée, ils mettent en place un nouveau mode de distribution considéré par certains comme disgracieux : ils sortent leurs films en Vcd ou en Dvd et les vendent dans les rue. 
Le phénomène est récent et s’observe surtout dans les grandes villes du pays, notamment à Douala et à Yaoundé. Alors que la vidéo domestique nigériane, comme les productions camerounaises en anglais, est distribuée dans des échoppes qui constituent des points de vente, les vidéastes francophones vont plus loin et attaquent la piraterie sur son propre terrain en privilégiant le commerce ambulant. Un mode de distribution tout à fait informel et extrêmement fragile. Certains recrutent des vendeurs payés sur commission. D’autres descendent eux-mêmes dans la rue proposer leurs films. 
Richard Djiff est de ceux-là. En 2008, il a écrit, réalisé et produit Chez nous les gosses qui met en scène deux enfants de la rue. Le film est diffusé une seule fois au Centre culturel camerounais de Yaoundé qui devait fermer ses portes quelques semaines plus tard. En 2011, Richard Djiff se lance à nouveau et sort le long métrage politique 139… Les derniers prédateurs où il tient en outre le premier rôle. Ce dernier film est aussi diffusé une seule fois, en projection presse dans la salle de conférence d’un hôtel à Yaoundé. Et puis, plus rien, le réalisateur n’ayant pas les moyens de louer une salle pour une projection qu’il n’est pas sûr de rentabiliser. 
A bout, Richard Djiff décide de sortir « Chez nous les gosses » sur Vidéo CD. Dans un premier temps, il recrute des jeunes commerciaux et place la barre des commissions à 20% sur chaque copie vendue à 500Fcfa. Mais les ventes sont faibles et les commerciaux jettent l’éponge un à un. Richard Djiff retrousse alors ses manches et va à la rencontre d’un marché potentiel dans ce pays de 20 millions d’habitants. 
Amateurisme oblige
Les vidéastes devenus vendeurs ambulants de Dvd vont chercher le client où il se trouve. C’est-à-dire dans les marchés, les agences de voyage, les discothèques, les bus de transport interurbain, les bars, les auberges, les campus universitaires, à l’entrée des établissements scolaires. Ils pénètrent dans les quartiers et vont jusque dans les villages pour proposer leurs œuvres pour une somme modique (entre 500 Fcfa et 1000 Fcfa). 
Certains misent sur leur notoriété pour vendre. C'est le cas de la troupe Les Déballeurs qui réalise des séries diffusées depuis plusieurs années sur la chaîne de télévision privée Canal 2 International. Ses comédiens, en l’occurrence Ebenezer Kepombia (Mintoumba) et Sylvie Sintcheu (Tonga), parcourent parfois les artères des villes du pays pour vendre des téléfilms. Les gens les achètent d’autant plus facilement qu’ils les reconnaissent. Une stratégie marketing reprise par la maison de production Zachée Sandjong. Réalisé par Elvis Bouopda, son film Le regard de Dieu est vendu par ses actrices, notamment Naomi et Titi, que l’on voit par ailleurs tous les samedis sur Canal 2 international, dans une série télévisée d’Ebenezer Kepombia. 
Dans ce phénomène de distribution de proximité, l’amateurisme a fait son lit. C’est le règne des hommes orchestres sans formation qui font des films financés sur fonds propres (généralement des moyens métrages) avec peu de moyens et en peu de jours. Ils emploient des acteurs bénévoles recrutés dans leur entourage immédiat. Ils tournent avec des caméscopes. Les plateaux les mieux lotis utilisent une caméra HDV ou DVCAM. Le résultat donne des films en français aux histoires mal ficelées, avec une mise en scène théâtrale, des acteurs mauvais et des problèmes techniques si nombreux qu’il serait vain de commencer à les recenser. 
Pire, les films sont souvent mal gravés et les pochettes des disques mal imprimées. Les plus économes utilisent une simple feuille de papier qu’ils agrafent pour en faire des pochettes avec l’information minimale : le titre du film et le nom du réalisateur. Pour rassurer, certains vidéastes possèdent des lecteurs Dvd qui permettent aux clients de vérifier la qualité du support avant de l’acheter. 
Loin du cinéma d’auteur, ces vidéastes ont opté pour des thèmes populaires : l’infidélité, la cupidité, l’amour, la pauvreté, la sorcellerie, la polygamie, l’escroquerie… Mais le traitement de ces thèmes sociaux et affectifs frise souvent le vulgaire. Ces films transformés en simple marchandise intéressent peu la critique. Ce mode de distribution a déjà été exploité par le cinéma. 
Le cinéma ou la bière ? 
Joséphine Ndagnou est l’un des premiers cinéastes camerounais à s’être intéressée au commerce ambulant de films. Après la fermeture de la dernière salle de cinéma en janvier 2009, la réalisatrice, alors très remontée, cherche un moyen de rentrer dans les frais engagés pour la production de Paris à tout prix, tout en faisant face au raz-de-marée des pirates. Elle sort alors son film (qui avait déjà fait près de 60 000 entrées en salle au Cameroun) sur support Dvd et recrute des jeunes pour les commercialiser dans la rue à Yaoundé et à Douala, au prix de 2500Fcfa. 
En lançant le concept Le cinéma au prix d’une bière, Thierry Ntamack s’est lancé sur ses traces. « Le Cinéma au prix d’une bière naît d’une colère saine. Les salles de cinéma ont fermé. Tout le monde dit que c’est une honte mais personne ne fait rien. Cette colère naît aussi du fait de voir qu’il y a une vraie rupture entre un peuple et son cinéma. Ce cinéma est mal fait, il y a beaucoup de déchets et le fantasme nigérian va grandissant. Il y avait un besoin de faire quelque chose. Or, la vente de proximité est aujourd’hui la seule source de rentabilité du cinéma », explique-t-il. 
Le projet consiste à produire, tous les trois mois, un film à petit budget qui est vendu à 1000 Fcfa l’unité, le prix d’une bière dans un snack-bar moyen. Thierry Ntamack a développé un réseau de distribution particulier dans les centres culturels, les supermarchés, les cyber-cafés et les hôtels. En parallèle, il a opté pour la vente ambulante dans la rue. Le réalisateur profite aussi de ses séjours à Paris pour vendre son film à 5 euros la copie, précisément dans les quartiers à forte concentration africaine comme Château rouge et Château d’eau.
Le cinéma au prix d’une bière est porté par l’association Couronne d’étoiles, composée de professionnels qui travaillent de manière bénévole sur le plateau. Le premier film du projet est sorti en mars 2012 et s’intitule Sur la route d’un ange. Le prochain film, Le Blanc d’Eyenga, est annoncé en septembre prochain. Une date qui met déjà à mal l’ambition de faire un film par trimestre. Comme le premier, ce film est écrit, réalisé et produit par Thierry Ntamack qui y tient en plus un rôle important. Au départ, le projet devait être consacré aux moyens-métrages. Mais il passe aux longs-métrages sous la pression du public qui a l’impression de ne pas en avoir pour son argent. 
Entretenir l’espoir 
Dans la rue, plusieurs films ont connu un certain succès qui donne à espérer. En quatre mois, Sur la route d’un ange s’est vendu à 25 000 exemplaires. Thierry Ntamack a pu dégager un bénéfice de 300 Fcfa sur chaque copie, de l’argent qui servira à financer la prochaine production du Cinéma au prix d’une bière. En trois mois, Richard Djiff a écoulé 800 exemplaires d’un film qui dormait dans ses tiroirs depuis quatre ans.
Le réalisateur Narcisse Mbarga affirme avoir vendu en un an 30 000 copies de son film Les larmes du regret qu'il a lui-même produit en 2009, à raison de 1000Fcfa le Dvd. En 2011, ce score était de 150 000 exemplaires. Un record qui, s’il est fréquent chez le voisin nigérian, prend des allures de paradis au Cameroun. Pour l’atteindre, Narcisse Mbarga a misé sur un large réseau de vendeurs au Cameroun et en France, mais aussi sur les scènes de sexe osées qu’il introduit dans ses films. Il soutient d’ailleurs avoir trouvé le truc pour captiver son public, et cela se résume en trois mots : violence, argent, sexe. 
Le commerce ambulant de films permet aux vidéastes de rester proches du public qu’ils côtoient au quotidien, de connaître ses goûts pour prévenir ses attentes. De son côté, le public apprécie cette volonté de rapprochement mais reste tout de même sceptique. Richard Djiff raconte que certaines personnes qu’il aborde dans la rue crient à la mendicité. « Ils ne réalisent pas que le cinéma soit tombé si bas au Cameroun qu’un réalisateur descende lui-même dans la rue pour vendre ses films ». 
Le réalisateur Dieudonné Nadi Nana est aussi de cet avis : « Sous d’autres cieux, le réalisateur est une star, c’est lui qui fabrique le film. Le réalisateur est un artiste, pas un commerçant. Qu’un réalisateur devienne vendeur ambulant, cela ressemble à de la mendicité et ne valorise pas la profession. Les gens pensent qu’ils peuvent tout faire, mais on a besoin de personnes compétentes qui peuvent nous aider à vendre nos films ». Dieudonné Nadi Nana a lui-même en projet de créer une structure de distribution de films en Dvd. Son ambition est de faire presser les copies en Chine, pour une meilleure qualité, et de les écouler à travers des réseaux organisés, dont les vendeurs de Cd piratés. 
Le groupe de musique X-Maleya avait déjà procédé ainsi en mai 2011, à la sortie de son 3ème album Tous ensemble. La maison de production de cet album, Empire company, avait placé des Dvd originaux auprès des vendeurs de disques piratés qui les vendaient au prix homologué de 1000Fcfa. 
Dans ce contexte de débrouille, Gervais Djimeli Lekpa, le promoteur de la base de données en ligne cinémaducameroun.com se pose en relais. Il vend des films vidéo en ligne et les propose aussi sur support Dvd, disponibles au siège de DLG films à Yaoundé. Entre autres Les fils du ghetto de Franck Henri Nonga, Negro d’Alphone Ongolo, Magali de William Segnou, Clando réalisé par lui-même et produit par 2PG Pictures, Paris à tout prix de Joséphine Ndagnou, de même que les films de Narcisse Mbarga. Mais les ventes en un point fixe ne sont pas aussi importantes que celles obtenues dans la rue. 
Pour cette génération spontanée de jeunes vidéastes, le pari est de créer une industrie vidéo au Cameroun, et l’ambition de combler le fossé qui existe entre le cinéma camerounais et son public. Mais la mauvaise qualité de la majorité des productions risque de creuser davantage ce fossé. Ces œuvres que l’on oublie aussitôt après les avoir regardé -quand on a le courage d’aller jusqu’au bout- vont-elles réussir à amener les Camerounais à boire moins de bière pour regarder plus de films? Le pari est très loin d’être gagné. Ce d’autant plus que sans organisation, beaucoup de vidéastes-vendeurs ambulants naissent et disparaissent du jour au lendemain sans laisser de trace.
Stéphanie Dongmo

lundi 23 juillet 2012

Djo Tunda wa Munga : « Un film n’est pas gratuit »


Le réalisateur congolais du film Viva Riva ! a rencontré la presse culturelle le 14 juillet 2012 à l’Institut Goethe de Yaoundé. Dans une discussion conviviale, il a partagé son idée du cinéma et les clés qui font le succès de son premier long-métrage fiction. 

Djo Munga. Photo Claire Diao
 Sur l’écriture du scénario
J’ai définit mon travail autrement. Pour faire Viva Riva!, je me suis demandé quelle serait la bonne histoire pour créer un lien avec un public. Et donc, j'ai décidé de parler de Kinshasa. C'est ma ville natale et je l'aime bien. J'ai commencé à approcher le film de genre, dans le sens où on sait qui est le héros et quel est le problème. Le polar a la force d'être simple, mais aussi de parler d'une réalité sociale derrière. Tout cela n'empêche pas de faire un travail personnel, de parler de gens qui nous sont proches, qu'on connaît.
Il fallait aussi être réaliste. Nos pays ont un niveau d'éducation très bas, ce qui ne veut pas dire que les gens ne sont pas intelligents. A la frontière du Congo avec l'Angolais, il y a eu une pénurie de carburant. Le carburant est un élément qui permet à toute la société d'être ensemble parce que tout le monde a le même problème. Cela m’a permis de parler aussi du racisme interafricain, de la manière dont l’Afrique ne fonctionne pas bien. 

Pour faire un film, on commence par le scénario. Avant de commencer à écrire, vous conceptualisez les scènes et définissez quels types de cinéma vous allez faire... Je me suis dit qu'il faut écrire quelque chose qui soit efficace, structurellement bien construite. Je me suis mis dans ce créneau-là et, Dieu merci, ça a fonctionné. Le travail du scénariste est de construire une histoire qui va pouvoir toucher les gens et parler à la fois de nos problèmes sociaux. Il n'y a pas de magie, il y a le travail et tout au bout, vous avez l'émotion. Je suis passé par toutes ces étapes avant d’écrire Viva Riva ! Il faut faire bouger les imaginaires, il faut trouver de nouveaux moyens de reconquête de notre public.

Processus de fabrication
J'ai mis sept ans pour faire ce film entre le moment où il a été écrit et le moment où il a été produit. Je crois plutôt à des démarches longues, à des démarches de manière générale qui aboutissent à un résultat qui est le film que vous voyez. Pour le casting, j’ai mis en place une démarche qui a abouti au film que je voulais.

Ce n'est pas une critique mais j'ai travaillé sur le film Lumumba de Raoul Peck qui est un très chouette réalisateur, comme 1er assistant sur la partie bruxelloise. J'ai vu Lumumba joué par Eriq Ebouaney, j'ai vu Kassavubu joué par un Togolais, j'ai vu le chef de la sécurité joué par un Sénégalais. Tous ces gens sont de très bons acteurs individuellement, mais ils ont tous des accents et des expressions corporelles différents qui font que par rapport au film, ce n'était pas cohérent. Je peux comprendre qu'au niveau de la production, on se dise qu'on va prendre des acteurs connus qui jouent bien. Mais par rapport à la réalité politique du Congo qu'on veut décrire, je me suis dit que ce serait incohérent. 

A Kinshasa et au Congo, il y a beaucoup de bons acteurs. Mais sur le plan technique, parce qu'il n'y a pas de salle de cinéma, ils manquent de professionnalisme, ils n'ont pas tourné suffisamment de films. Ils sont de bons artistes dans ce qu'ils font mais pour l'objet du film, ils ne remplissent pas les critères. C'est ce qui fait que parfois vous regardez un film et vous avez l'impression qu’un acteur joue mal, parce que le cadre dans lequel on l’a a mis ne correspond pas à ses qualités. Et donc, il faut construire un cadre sur lequel on va prendre des comédiens locaux et les faire travailler pour que leurs qualités intrinsèques soient mises en valeur sur une production de film.
  
Une scène du film       

Le casting
Avant de faire ça, j'ai d'abord engagé une directrice de casting. Une personne qui n’avait jamais mis les pieds en Afrique mais qui a beaucoup de métier. Elle est arrivée dans un milieu qu'elle ne connaissait pas, elle a regardé les gens et a senti ceux qui ont des qualités intrinsèques. Adèle Bruchert est une Française qui travaille avec ce réalisateur autrichien, Haneke. Elle a fait deux mois au Congo, elle a vu environ 200 personnes et m'a proposé une liste de 20 comédiens qu'elle pensait être les mieux. 

Au niveau local, ça a créé la méritocratie, les gens étaient plus stimulés. Ces 20, je les ai mis en atelier de deux mois la première année pour travailler leur image. Après, je les ai renvoyés chez eux. Et l’année suivante, on a refait un autre atelier de deux mois. A la fin, on a regardé les qualités de chacun et on s'est dit : tel devrait jouer tel rôle et donc, je leur ai donné le scénario. Quand les gens font deux mois d'atelier et après deux mois de répétition, sur le tournage, ils sont mûrs au personnage. Ils l'ont tellement adhéré que ça vient tout seul. Après ça, tourner devient quelque chose de facile. 

Il n'est pas tant de dire je sélectionne des gens, mais qu'est-ce qu'on construit pour que des gens arrivent au résultat qu'on attend. Dans le dispositif que j'ai mis en place, j'ai évité beaucoup de problèmes : ceux qui se croyaient très fort ont été recalés, tout le monde était un peu équivalent. Ce qui est complexe c'est d'harmoniser les compétences de chacun, tous ces comédiens ont de la force. Un film n'est pas gratuit. Après sept ans à travailler sur un film, il y a très peu de hasard.

La situation en RDC
Viva Riva ! est le premier film de fiction congolais depuis La vie est belle [Dieudonné Ngangura Mweze et Benoît Lamy, 1987] C’est le premier film en lingala de notre histoire, au 21ème siècle ! Quand on tourne en sa langue, on est beaucoup plus fort que quand on tourne dans une langue étrangère. 

En 1997, je vais à Ouagadougou pour mon premier et dernier Fespaco. Je rencontre des Burkinabés qui disent : « Le Congo est formidable, vous avez des diamants ». Et je me dis que ces gens ne savent pas ce qui nous est arrivé en 30 ans. La misère dans laquelle on est tombé, je ne pourrais même pas vous la décrire. Ici, vous parlez tous français, vous avez un discours très élaboré. Dans notre pays, on n'a pas ça. On n'a pas eu le même type de colonie. 

La Belgique a bloqué l'éducation pendant longtemps. En partant, ils ont laissé des institutions vides. Tout a explosé, on n'a plus d'institution, plus d'école, le système bancaire est revenu il y a cinq ans. On est dans une société qui est déstructurée, anarchique. L’Etat n’a plus de main mise sur l’économie. La ruine n'est même pas mesurable, aujourd'hui on recommence à zéro. On ne peut compter que sur nous-même pour raconter des films qui nous plaisent. 

Aujourd'hui à Kinshasa, les gens ordinaires sont arrivés à une maturité, de dire qu'on a tellement souffert que toutes les initiatives sont à encourager. Les gens nous ont ouvert les portes de leurs maisons, on n'a pas payé de bakchich, on pouvait tourner dans la rue. On a tourné le film en 37 jours. Dans ce film, j'ai essayé d'être plus proche de la réalité.


Sexe et violence 

Est-ce qu'il n'y a pas confusion dans la perception de notre travail? Je ne fais pas des films pour que mes parents les voient, ils ne m'intéressent pas comme audience. Mon métier est de dire : je fais des films pour que les gens les regardent à 22h30 et pas à 19 heures. Ça veut dire aussi qu'il faut que je sois clair avec mon travail. On a un pays très violent, on a eu la guerre civile, on a un niveau de viol très important, une sexualité démesurée, mais ça ne peut pas être montré parce qu'on a des tabous.

Je pense que l'Afrique ne fonctionne pas très bien dans nos familles, dans l'éducation. Tout ça, il faut qu'on en parle. Je pense que c'est à 22h30 qu'il faut le faire mais on en parle quand même. En focalisant sur ce qui est important de faire aujourd'hui, c'est là que le succès vient. Le succès est venu du fait qu'on se dit qu'on a un film qui parle de nous, qui n'est pas politique dans le sens institutionnel du terme.

L’échec des cinéastes africains
Les cinéastes africains n’ont pas réussi à conquérir le public africain. Voir un film africain paraît un peu comme un devoir. Le public boude, peu de gens connaissent les cinéastes africains. D'un côté on a un cinéma d'auteur un peu impétueux qui ne parle à personne, et de l'autre, on a un cinéma populaire dans ce qu'il y a de plus bas. Dans ma génération, avec toutes les qualités des films de mes prédécesseurs, surtout dans le cinéma francophone, une chose est certaine c'est qu'il y a un désamour avec le public. Ils n'ont pas réussi à placer le cinéma au cœur de la société. Or, il n'y a pas d'art plus populaire que le cinéma.

Les Nigérians ont réussi à faire ça. Ils ont réussi la conquête du public, ce que tous les autres Africains n’ont pu faire pendant 40 ans. Ils ont une approche industrielle du cinéma, ils construisent des histoires qui parlent aux gens. Ces histoires sont bâties sur une construction narrative qui fait qu'il y a un héros, un méchant et une quête, plutôt qu'une approche nombriliste où je parle de ma grand-mère. Le modèle nigérian a réussi à mettre notre culture au centre de notre imaginaire.

Cinéma d’auteur vs cinéma industriel
Dans nos pays francophones, la France prône le cinéma d’auteur qui est basé sur l’aide de l’Etat, parce que ce qu’est un peu leur modèle d’exportation. Ce sont les gouvernements étrangers qui ont dû payer pour notre culture, et les gens paient pour ce qu’ils veulent voir. Mais le cinéma d’auteur ne correspond ni à nos attentes, ni à nos besoins, ni à ce vers quoi on veut se tourner. Le cinéma d’auteur ne peut pas marcher, c’est un cinéma basé sur une longue assistance de l’auteur, et après le film roule pour un moment plus ou moins long. 
Moi, j’ai pris une approche de comprendre une industrie, de comprendre les mécanismes qui font qu'il y a un public, un marché, une demande, des productions régulières. Ça m’a permis de redéfinir mon travail. Pour en revenir au cinéma nigérian, il a, avec beaucoup de défauts, une forme d'efficacité minimale. Il applique les règles de base de la dramaturgie qui fait que les gens peuvent suivre une histoire. Et c'est un des gros problèmes dans le cinéma d'auteur parce qu'on veut toujours réinventer la roue, on ne créé pas le plus petit dénominateur commun pour que les gens puissent suivre une histoire et aimer ou pas.

Je pense que ce qui a tué le cinéma africain c'est la politique et le contrôle de l'imaginaire. Je pense que le cinéma-calebasse n'est pas bien parce que ça a enfermé l’Afrique dans une identité très réduite par rapport aux possibilités qu'on peut avoir. Du fait de ne pas occuper une place, on a un cinéma qui ne représente pas grand-chose et qui a un cachet par lequel on doit rentrer dans l'exportation internationale. Maintenant, ce cinéma existe. Rien n'empêche de créer la compétition et je l'ai fait. Il faut avoir une locomotive, mais il faut être sûr que tous les wagons qui suivent la locomotive ne sont pas les mêmes. A un moment, il faut limiter ce que l'étranger peut nous apporter. Il faut qu'on mette de l'ordre dans notre société nous-mêmes. 


Une scène du film

Film éducatif ?
Pourquoi un film doit être éducatif? Il n'y a pas de raison. Si on parle d'une fiction, on parle d'une œuvre d'art. Il faut qu'on sorte absolument de ce schéma de dire qu'il faut faire des films éducatifs. Qui demande à voir des films éducatifs? Quand vous regardez un film, quand vous lisez un livre, vous vous faites plaisir. 

Un film de genre ou de divertissement, le polar notamment, permet quand même de mettre derrière des éléments par rapport à la société. Et donc, vous parlez discrètement de la pauvreté, de la violence, de la famille. Mais l'éducatif, il faut mettre de côté, un film ne sert pas à ça. Même si, dans mon autre travail, je produits des documentaires, je fais des films sociaux, mais c'est un département dont le label est dédié, la fiction n'a rien à voir avec tout ça.

Quelque part, le fait d'aller demander de l'argent aux ministères extérieurs a créé des rapports biaisés avec l'œuvre d'art qui font qu'on nous suggère des images qui ne sont peut-être pas celles que le public a envie de voir. Mes prédécesseurs dans le cinéma francophone n'ont pas pu s'installer dans le cœur des populations et au cœur des imaginaires, ce que les Nigérians ont réussi à faire, même si leurs films sont de bien moindre qualité. Donc, je pense qu'il faut abandonner les films éducatifs avant toute chose.

La critique, maillon faible ?
Les faiblesses du cinéma africain viennent du fait qu'on n'a pas de critique. Ce qui veut dire qu'un critique de cinéma doit être aussi outillé qu'un cinéaste pour pouvoir parler du film et ça, c'est un vrai problème. Si on n'a pas de critique de cinéma, cela veut dire que le public est plus pauvre au niveau de la perception intellectuelle du film et si le public est plus pauvre, cela veut dire que les cinéastes sont aussi plus pauvres. 

Avant de faire des films aujourd’hui, j'ai vu beaucoup de films et j'ai lu beaucoup sur les films. Qui a la capacité de transformer ce qui est vu et conçu par des cinéastes, de les mettre sous une forme papier suffisamment concise pour qu'un grand nombre de gens le comprennent ? Ce sont les critiques. Et pour pouvoir le faire, vous devez pourvoir comprendre toute la logique qui entre dans le cinéma. On ne fait de films que parce qu'il y a des critiques et dans l'institution du cinéma, je pense que c'est quelque chose qui manque. C'est une question qu'il faut commencer à penser à résoudre.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

lundi 16 juillet 2012

Critique : Beaucoup de bruit… pour peu d’effet


Le film « Le Correspondant » de Henri Fotso, qui a bénéficié d’une campagne médiatique du fait qu’il avait été censuré l’année dernière, a été projeté le 30 mai 2012 au Film Klub de l’Institut Goethe de Yaoundé. Et il s’est placé au-dessous des attentes du public.


Henri Fotso
 « Le Correspondant » a au moins un mérite : celui de tirer si bon parti de son qualitatif  de « film censuré », depuis que son scénariste, acteur, réalisateur et producteur Henri Fotso, a été prié par le ministère de la Culture l’année dernière d’attendre l’après-présidentielle d’octobre 2011 pour le projeter. Son synopsis est pourtant clair : « Un journaliste africain [Okere Mazimba] qui travaille pour une radio basée à Paris est envoyé en mission sur une île pour couvrir les élections. Cela l’amènera à se questionner sur l'éthique du journalisme, la prostitution, le proxénétisme et la pauvreté ». Mais sa mise en scène l’est moins, comme si le film était resté dans la tête de son auteur.

Dès la première scène, « Le Correspondant » plante le décor de ce qui va se révéler être une perpétuelle quête de l’équilibre du son : il monte, baisse ou disparaît, quand il n’est pas parasité par des bruits extérieurs non justifiés. Le film impose au spectateur la chanson intitulée… « Le Correspondant », écrite par Henri Fotso pour dénoncer la censure de son long-métrage. Pendant plusieurs longues minutes, la chanson est interprétée par Okere Mazimba, avec une fausse note déconcertante.  

Ce film qui saute constamment du coq à l’âne sans crier gare est un drame. Or, la dramaturgie repose sur le conflit. Mais le héros de Henri Fotso, qui coule des jours doux, semble n’avoir aucun autre problème que celui de protéger de jeunes femmes en détresse. On le voit d’ailleurs plus dans leurs bras que sur le terrain. Comble d’ironie, c’est pourtant lui qui va se prendre une balle dans sa chambre. L’absence de cette base minimale de la dramaturgie fait qu’il est difficile de suivre le film.

Le message de Henri Fotso est que les journalistes sont en danger. Or, ce qui est le cas en Syrie ne l’est pas forcément en République d’Outre-mer où Okere Mazimba mène une vie paisible. C’est tout juste si on peut le voir lire d’une voix mal assurée ses articles à l’antenne, dans des séquences où on voit, sur de gros plans prolongés, son interlocuteur au studio de Paris. Un rôle joué par Henri Fotso.
  
La mise en scène introduit des éléments gratuits qui ont fait irruption au moment du tournage. Il y a aussi de gros plans insistants sur l’entrecuisse découvert de la prostituée. Indécent. Le film n’a même pas l’avantage de la vraisemblance. Une femme sensée avoir 26 ans mais dont on aperçoit la naissance des rides, un député qui veut faire un coup d’Etat mais est vaincu avant même que le projet ne soit vraiment ficelé dans sa tête, une prestation de serment annulée à cause de l’absence d’un député…

Le public s’est fait un plaisir de dénombrer les nombreux problèmes du film sans enjeux esthétiques, au cours du débat qui a suivi la projection : absence d’intrigue, personnages mal campés, acteurs manquant de direction, mise en scène absente, tournage bâclé. Acculé, le journaliste qui a échoué dans le cinéma a répondu qu’il voudrait apprendre. 

Un bémol cependant, l’ancien footballeur et sociétaire des Lions Indomptables, Cyrille Makanaky, qui n’a pourtant qu’un rôle secondaire, se révèle être le seul acteur qui rentre vraiment dans la peau de son personnage de mercenaire.

« Le Correspondant » est le premier film de Henri Fotso. Un petit film pour un petit effet. Cette œuvre qui a bénéficié d’une subvention du ministère de la Culture ne contribuera pas à effacer le désamour entre les cinéastes camerounais et leur public.
Stéphanie Dongmo

Fiche technique
Titre : Le Correspondant
Scénariste, réalisateur, producteur : Henri Fotso
Casting : Vermont Duclair Tasse, Cyrille Makanaky, Joe Mboule