vendredi 20 septembre 2013

Livre : l’identité en miette

Dans son roman « Le rêve de Latricia » (Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud, 2011), le Sénégalais Ben Diogaye Bèye raconte la longue quête identitaire d’une Afro-Américaine écartelée entre deux civilisations. Une écriture magnifique desservie par une édition négligente.

Ben Diogaye Bèye

Depuis qu’elle est toute petite, Latricia, une jeune Africaine Américaine, fait un rêve étrange : une vielle femme africaine lui demande de l’eau, dans une langue qu’elle ne comprend pas. Puis, se mettant en colère, elle renverse le gobelet d’eau». Ce rêve que Latricia transpose volontiers sur ses peintures va évoluer au fur et à mesure de sa rencontre avec l’Afrique, dont le déclencheur sera Mayekoor, un Sénégalais installé à New York qui va devenir son amant. 

« Le rêve de Latricia » part du postulat selon lequel ni le temps, ni la distance, ne peuvent séparer un être de ses racines. Latricia a pourtant tout fait pour oublier sa peau noire, comme en témoignent ses cheveux souples et ses yeux bleus. Mais peut-on se fuir soi-même ? Ses cauchemars et son destin l’amènent, presque de force, à faire face à l’essence de son être, cette part africaine d’elle-même qu’elle traîne comme un boulet et qu’elle finira par aimer.

L’auteur revisite l’écartèlement de ces peuples déracinés, traversés par plusieurs cultures, confrontés à l’esclavage et à la ségrégation ; la blessure restée ouverte au fond des cœurs déchirés qui produit des êtres hybrides, fragilisés. Edouard Glissant l’a appelé « créolisation », Léonora Miano l’appelle « habiter la frontière ». Ce mélange d’identité, cette hybridité culturelle qui peut provoquer une perte de repères, comme c’est le cas chez Latricia. Sa quête identitaire va la conduire au Sénégal où elle va renouer avec ses ancêtres un fil que les ans et la distance n’ont pas pu rompre. Le « Ndeup », une cérémonie d’exorcisme pratiqué au Sénégal, réussira à réconcilier cette descendante d’esclaves à l’Afrique mère.

Ben Diogaye est né à Dakar en 1947. « Le rêve de Latricia » est son premier livre de ce cinéaste. Un livre qui vaut la peine d’avoir été attendu si longtemps. Sa quatrième de couverture décrit bien son style : « la prose est élégante, parfois même somptueuse et le propos est profond qui culmine en une méditation angoissée sur la condition humaine articulée autour de la problématique de l’identité culturelle ». Mais cela n’a pas suffi pour faire de ce roman un succès littéraire.

Le succès d’un livre naît souvent de la rencontre entre un beau texte et un bon éditeur. La seconde condition a manqué. Le livre est passé inaperçu sur la scène littéraire continentale,  la personnalité de son auteur ayant aidé à le vendre au Sénégal. Il faut enjamber une quatrième de couverture touffue, résister à l’invasion des virgules, fermer les yeux sur les coquilles (trop nombreuses pour être acceptables) pour découvrir la force du texte de Ben Diogaye Bèye. Un texte magnifique, à lire malgré tout.
Stéphanie Dongmo 

Ben Diogaye Bèye
Le rêve de Latricia
Ed. Panafrika/Silex/Nouvelles du Sud
Paris, 2011, 206 pages
18 euros  

mercredi 18 septembre 2013

Mode : Imane Ayissi en toute liberté



C’est un homme svelte, à l’allure nonchalante et au port altier. Styliste camerounais à la renommée internationale, Imane Ayissi n’est pas très bavard. Il faut aller chercher les choses là où elles se trouvent, au fond de son cœur. Il a un avis tranché sur la mode au Cameroun, la vie et ses ressentis. Il évoque ses multiples vies de danseur, mannequin, conteur et styliste avec nostalgie. Il frissonne à l’évocation des privations qu’il a dû s’imposer et se consume de colère lorsqu’il compte ses morts. Mais c’est toujours avec humilité qu’il parle de ses carrières, de ses envies et de ses projets. Le détour en vaut la peine.
Imane Ayissi

Vous avez animé un atelier de formation de jeunes stylistes camerounais en juin 2013 à Yaoundé, à l’occasion du 3ème Forum des métiers de la mode et du design. Y a-t-il de l’espoir ?
De travailler avec les jeunes, c’est bénéfique pour eux comme pour moi. Je crois que davantage, je saisirai l’occasion de venir ici pour essayer de faire une éducation culturelle de la mode car il y a beaucoup de choses à faire. Il y a énormément d’ignorance par rapport aux métiers de la mode. Tout le monde sait tout et quand on fouille un peu, on voit qu’à la base, il n’y a rien. Et puis, quand on marche dans la rue, quand on regarde la jeune génération, on remarque qu’il y a quelque chose qui ne tient pas. 

La plupart des jeunes sont un peu perdus. Il y a une grosse rupture culturelle d’une génération à une autre,  un manque de connaissance sur qui nous sommes, l’histoire de nos pays, la mise en lumière de nos valeurs. Beaucoup de jeunes ne parlent même pas leur dialecte. C’est dramatique, je me demande ce qui se passe. Moi qui vis à l’étranger depuis plus de 20 ans, je parle couramment ma langue, l’ewondo, parce que c’est important pour moi. Dans le monde, et cela vaut pour tous les peuples, si on ne sait pas qui on est, d’où on vient, quelle est sa propre histoire, on n’est rien. 

Quel sentiment cela vous inspire ?
La mode est basée sur de vraies valeurs. Ce qui me choque ici c’est que beaucoup de femmes ont de faux cheveux. C’est le refus de son identité parce qu’on veut ressembler aux Européens, et en Europe, ça les fait rire. Tout ça, c’est un problème d’éducation. Qu’est-ce qu’on enseigne à l’école ? Qu’est-ce qu’on montre à la télé? Une personne qui grandit en regardant les telenovelas va donner  un prénom piqué dans une série à son enfant. J’ai vu des quartiers ici qu’on nomme Santa Barbara, le Koweit, est-ce que c’est normal ? Il y a des gens qui se sont battus pour le Cameroun dans tous les secteurs, il faut leur rendre hommage, c’est comme cela qu’on construit un pays. De la même manière, tout le monde veut s’habiller à l’Européenne. Retournons nous vers nos valeurs. Quand je créé, je fais un travail de recherche, c’est une manière de parler de nous. C’est pour cela aussi que mon travail a été reconnu par l’Institut français de la mode (IFM). L’éducation est importante pour que les gens sachent qui fait quoi dans la mode. Il faut respecter ceux qui étaient là avant nous, ils ont balisé le terrain. 



Vous avez le regard sévère de quelqu’un qui vit à l’étranger…
Au Cameroun aujourd’hui, il y a un esprit de facilité, à peine on plante le maïs qu’on veut le manger. On a envie d’arriver tout de suite, sans avoir travaillé. Les gens dans leur bureau tirent une tronche quand on leur donne du travail. Le travail, c’est aussi une éducation. Moi je suis né ici, j’ai travaillé ici et j’ai énormément souffert. Avec mes frères, on a travaillé au Ballet national et on ne nous payait pas. Ce n’est pas pourtant l’argent qui manquait. Mais je ne regrette pas, c’est l’école de la vie. J’ai été habitué à me démerder, je n’ai jamais reçu des aides, même pas de mon pays. 

Combien coûte Imane Ayissi ?
Comme mannequin, j’ai eu de la place au niveau international, je suis allé vers ce métier par amour et je crois que beaucoup ont apprécié ma manière d’être, ce qui m’a permis de faire 12 ans de carrière dans des maisons très importantes comme Dior, Lanvin, Cartier, Boucheron… Je ne peux pas donner un prix à mes prestations. Je coûte ce que je coûte et je reste ce que je suis. Je suis très discret sur l’argent. Quand on se respecte, même si on a beaucoup d’argent, cela ne s’affiche pas. Et c’est ça, la clé du savoir-vivre. La culture bling bling, ce n’est pas mon truc. L’argent, ça se respecte, surtout quand on a trimé pour. 

Combien de défilés de mode comptez-vous ?
Mon premier défilé de mode a été présenté à Paris en 1993. Depuis, je n’ai jamais raté de rendez-vous, je présente une ou deux collections par an. Aujourd’hui, je ne peux pas compter le nombre de défilés que j’ai fait. Moi, j’ai toujours été attiré par la haute couture, j’ai choisi de faire des vêtements de luxe avec beaucoup de travail à la base. Une robe qui me prend un mois à faire, je ne vais pas la vendre à 10 000 Fcfa mais on va en parler à partir d’un million, par exemple. La mode ne s’arrête pas au vêtement, c’est aussi l’architecture, les arts plastiques, le savoir-faire des artisans, l’histoire des pays. Et les prix vont se fixer en fonction des modèles. Je fais beaucoup de pièces uniques, des micros collections qui valent 3000, 4000 euros. J’ai fais aussi du prêt-à-porter sur du tissus basique à prix bas, genre des vestes à 800 euros. J’ai fait du grand public aussi pour la Redoute, avec des trucs pas chers à 71 euros. Quand on travaille dans le luxe, on vend du rêve. Et le rêve, ça ne se brade pas. 

Pourquoi ne commercialisez-vous pas vos créations au Cameroun ?
J’utilise des matières qui coûtent très chères, je sais qu’ici, ça marchande beaucoup et ça ne m’intéresse pas. Ceux qui ont des moyens ici préfèrent aller acheter du Cardin ou du Dior. Les gens sont complexés, il faut du temps pour leur enlever ça de la tête. J’ai un showroom à Paris qui est ouvert uniquement sur rendez-vous. Contact : imane-ayissi@imane-assiyi.com. Sinon, je place quelques créations dans des échoppes de luxe. J’en ai mis au Qatar, en Italie, au Japon. En Allemagne, j’ai été vendu aux galeries Lafayette de Berlin pendant toute une saison. C’est à nous de créer nos propres lobbying, de bâtir le monde du luxe africain. Cela commence par le respect de nos propres designers, les acheter et respecter leur image. Pour créer ce monde du luxe africain, il faut redonner confiance au peuple. Peut-on être un chef de famille et avoir peur de sa famille ? C’est la question que nos dirigeants doivent se poser en Afrique. 

Yaoundé, juin 2013. Photo Nicky Aina
Quel regard portez-vous sur la mode au Cameroun ?
Il y a beaucoup de talents ici. Or, quelqu’un qui n’a pas les moyens ne peut même pas faire un défilé correct. Et quand on parle de défilé, ça doit se faire dans de très jolies cadres, avec de très belles femmes parce qu’on vend quelque chose d’inaccessible. La mode a ses critères, il y a plein de choses à faire. Il faut que la robe tombe bien, que les finitions soient correctes, à moins que ce ne soit voulu. Mais quand c’est mal fait, ça se voit et c’est un non respect à soi-même, à la cliente et aux gens qui regardent ton travail.

Et sur le mannequinat ?
Pour moi, il n’y a pas de mannequinat au Cameroun tant qu’il n’y a pas une vraie structuration du secteur de la mode, des stylistes bien implantés. Ce serait faire les choses à l’envers. Il faut un syndicat qui organise le secteur, des défilés de mode réguliers, des journalistes de mode formés qui accompagnent ce travail.

Vous portez plusieurs casquettes, quel est le métier qui vous a apporté le plus de satisfaction ?
J’ai chanté un tout petit peu mais je trouvais que je n’avais pas une belle voix, donc, j’ai laissé la place à Chantal, qu’elle chante. Tous les métiers m’ont épanouie. La danse m’a beaucoup enrichit. J’ai fait la danse traditionnelle, d’ici et j’ai travaillé dans les ballets nationaux au Cameroun, au Sénégal et en Guinée, et après, j’ai commencé à faire du contemporain. Je danse toujours, j’ai beaucoup enseigné la danse dans de grandes structures comme Vinci. C’est une société qui a une salle de détente et j’y ai enseigné pendant six ans la danse africaine, la manière de se tenir, le port de tête. Le mannequinat et surtout la mode, ce sont des métiers qui m’ont beaucoup apporté. L’enrichissement que j’ai tiré de la pratique de tous ces métiers, on le voit dans mes créations. 

Comment qualifierez-vous le style Imane Ayissi ?
Je suis toujours dans le mouvement, la mise en valeur du corps sans surcharger la femme. Surcharger c’est très facile parce que ça cache plein de défauts. Mon travail est très précis, j’aime mettre en valeur les détails, j’essaie toujours de mettre la femme en avant. Donc, ce n’est pas la robe qui porte la femme, mais c’est la femme qui porte la robe et qui devient élégante. Pour les hommes, je fais du sur mesure sur commande alors que pour les femmes, je créé des collections entières.

Le style, ça se travaille. Aujourd’hui, l’IFM dit que j’ai un style assez pointu, très glamour mais en même temps très épuré et soft. On y retrouve l’Afrique sans utiliser le bling bling africain. J’essaie de mettre en avant les symétries, les courbes que l’on retrouve sur les statuettes africaines. C’est comme ça que j’ai essayé de construire un style, en restant toujours très soft tout en étant hyper élégant. J’aime travailler dans des couleurs uniques pour éviter la facilité. Ce côté très strict, très épuré me pousse à aller jusqu’au bout des choses parce que s’il y a une erreur, ça saute aux yeux. 

Comment et où vous ravitaillez-vous en tissus et accessoires ?
J’utilise beaucoup de soie, du coton, des dentelles, du bambou, de la mousseline, tous les tissus qui sont jolis. J’essaie de rendre certains tissus nobles comme le coton, dans la manière de construire le vêtement. J’achète les tissus et accessoires que j’utilise au gré de mes voyages. Le problème ici au Cameroun c’est que quand tu demande le tissu africain, on te sort des imprimés. 

Il y a quelques années, j’ai acheté du tissu à la Cicam pour faire des essais. Quand on a lavé une fois, tout a foutu le camp alors que j’avais un projet important pour toute une collection, pour montrer du tissu imprimé en Afrique. J’aimerais trouver des gens avec qui je travaille pour des tissus comme le ndop, sans qu’il y ait un problème de suivi. Si on veut faire toute une collection, c’est du métrage important. Parfois, ça n’arrive pas à temps, ou le tissage n’est pas régulier, ou il y a des tâches et plein de défauts sur le tissu, c’est problématique sachant que là-bas, tout est contrôlé et que quand on fait du luxe, ça doit être impeccable. On est obligé de retourner chez les Italiens, les Suisses, les Français. 

Pour vous, c’est quoi le mannequinat ?
Le mannequinat, ce n’est pas une question de beauté, ce n’est pas un concours de miss. Une Miss est une jeune fille qui doit être très belle, intelligente qui sait parler. Le mannequin n’a  pas forcément un très joli de visage, on recherche des gueules  pas très courantes, un port de tête de reine, beaucoup d’élégance et des mensurations précises. Mais en Afrique, on mélange tout. Dès qu’on te dit que t’es jolie, tu deviens mannequin et en plus, tu passe top model aussitôt. Top model, c’est un titre qu’on donne à quelqu’un qui a fait les grandes maisons de luxe, les couvertures de magazines importants, les publicités de parfum… 

C’est quoi être un mannequin noir en France ?
Imane, le mannequin
Moi je n’ai pas de problème par rapport à ma peau, je n’ai pas besoin de dire que je suis noir parce que j’en porte le maillot. Mais c’est à nous de nous faire notre place. Bien sûr, il y a le racisme, j’en ai vécu des choses mais ma vie ne s’arrête pas à ça, il y a des cons partout, ici comme ailleurs. Je sais ce que je veux dans la vie. Si ma peau ou ce que je suis ne plait pas aux gens, tant pis pour eux, ce n’est pas ça qui va m’arrêter.  

C’est dur de faire carrière en France, j’ai bossé là où les vraies choses se passent. La France est saturée, ce ne sont pas les mannequins qui manquent. Mais si les jeunes mannequins camerounais veulent venir, qu’ils viennent. Mais qu’ils aient les côtes solides. Dans une agence de mannequins, on prend deux, trois Noirs, pas plus. Beaucoup de boîtes de luxe le dise, le Noir, ça ne passe pas trop. Les filles de l’Europe de l’Est on beaucoup plus de place avec leur côté austère et très chic. 

Un retour au Cameroun est-t-il envisageable pour vous ?
Sincèrement, non. Je connais la mentalité de mon pays, j’ai déjà perdu toute une collection entière avec les chaussures et toutes les accessoires ici en 2012. Des malles ont été embarquées dans un avion de la Camair et ce n’est jamais arrivé. Je venais à un défilé organisé par Juliette Fotso et depuis ce jour là, même pas un coup de fil. J’avais trimé, j’avais les accessoires emprunté des maisons, et tout est perdu. Je suis rentré à Paris, c’ »tait terrible, ça m’a beaucoup marqué. J’ai refusé de porter plainte à la Camair pour ne pas salir l’image du Cameroun. Je n’ai jamais été dédommagé, j’ai laissé tomber. 

Le coup bas qui vous a le plus blessé ?
Le coup bas le plus tordu qui m’ait été fait ? J’étais booké chez Francesco Smalto. Je fais des essayages et le jour du défilé, je suis annulé, sans explication. Finalement, quelqu’un d’important dans la maison vient me siffler qu’il y a un modèle camerounais qui a peur que je lui fasse de l’ombre. J’ai menacé de faire un scandale et ils m’ont payé le double. Deux ans après, ils m’ont repris pour un défilé. 

Une anecdote marrante ?
A un défilé, on se lance sur le podium. Au bout, il y avait tellement de lumière qu’on ne voyait pas le fond du podium. Tous les mannequins, nous sommes allés s’entasser les uns sur les autres. Après, on  tout arrêté et on a recommencé. 

Comment êtes-vous arrivé à la mode ?
Adolescent, je faisais de la boxe comme mon père mais j’étais moins enthousiaste de prendre des coups dans la gueule alors que j’ai rien fait (rires). On a eu beaucoup de difficulté à une époque dans ma famille, ce qui fait que je n’ai pas pu continuer les études. Je me suis arrêté à l’école primaire. J’ai commencé assez tôt à danser et à travailler comme mannequin amateur ici au Cameroun, avant d’aller en Europe. J’ai bossé pour Blaz design, Made Jong, Jemann et tout cela m’a entrainé vers la création. Ma famille aussi a beaucoup joué. Ma maman [ Juliette Honorine Eyenga, Miss Indépendance Cameroun en 1960, Ndlr] défilait, ma sœur Chantal aussi était mannequin. Dans les magazines que ma mère ramenait, je voyais des femmes qui me faisaient rêver comme Katoucha [décédée en 2008, elle fut l’égérie de Yves Saint Laurent, Ndlr]. Plus tard, toutes ces femmes-là sont venues vers moi : la princesse Kamatari, Mounia, Katoucha. Je n’ai jamais fait son deuil. C’est quelqu’un qui me comprenait avant même que je ne parle. Quand elle est parti, j’ai trouvé que c’était injuste, un vrai gâchis.

En 1990, j’ai fais la tournée Saga Africa avec Yannick Noah, une très belle aventure qui a duré presqu’un an. J’allais souvent en France mais c’est à ce moment là que j’ai décidé de rester. J’ai été sans papiers pendant huit ans. C’est très dur et très dangereux, je ne le conseille à personne, je ne peux pas encourager l’aventure.
Je travaille e
ncore comme mannequin mais je n’ai plus le temps d’aller faire des castings et en plus, ça m’a saoulé. On m’appelle juste pour que je vienne défiler. Maintenant, quand j’arrive ici, je mange bien, le poisson braisé, le kwem ou la sanga. 

La souvenir le plus douloureux qui vous hante encore ?
Je n’ai pas non plus fait le deuil des quatre frères que j’ai perdu dont deux dans la catastrophe de Nsam Efoulan en 1998. Ce drame fait partie des choses que je ne pardonnerai pas au Cameroun jusqu’à la fin de mes jours, mais en même temps, je n’en veux à personne. Dans un pays comme le Cameroun, qu’un train qui transporte de l’essence traverse la ville sans aucune sécurité, ça me dépasse. Je suis amer jusqu’aujourd’hui, pas seulement pour mes frères mais pour tous ces gens qui ont été réduit en cendres. 

La place de la spiritualité dans votre vie ?
On nous dit que la vie a commencé en Afrique, berceau de l’humanité, mais en même temps, il n’y a pas un Dieu noir, ce qui est très drôle. Tous les Dieux que nous prions sont importés. Je ne veux pas être de ceux qui prient et qui toisent des inconnus dans la rue. Pour moi, il n’y a qu’un seul dieu. C’est la force de la nature, c’est moi, toi, le ciel, la terre, l’univers et ce qui l’habite. Dieu, c’est une force, une énergie. La vie, c’est un phénomène, on est là, on commence son voyage et quand il s’achève, on repart. On a l’impression que ça va durer une éternité alors que c’est très court. Il faut respecter la vie. Moi, suis né un 7 juin et je n’ai plus d’âge. Ce n’est pas important, car le temps, la vie, c’est dans la tête. Je n’ai pas peur de vieillir, la vie est faite ainsi, on naît, on grandit et on vieilli. Il faut profiter de l’instant et bien vivre.



Quels sont vos projets ?
Je travaille en ce moment sur une collection qui doit être présentée pendant la haute saison de la mode au mois d’août. J’ai beaucoup de boulot à faire, je vais me taper des nuits blanches… je suis aussi en train d’écrire mon troisième livre, toujours dans le registre des contes. J’aime bien la liberté, l’audace qu’on peut avoir dans les contes. Je les créé avec un peu de mon vécu, l’Afrique d’antan et du futur aussi, le monde dans lequel je vis à Paris. Plus tard, j’écrirai un roman autobiographique.

Comment arrivez-vous à écrire des livres alors que vous avez arrêté les études très tôt, à l’école primaire ?
J’ai arrêté les études très tôt mais j’écris des livres. Je crois que quand on ne connaît pas, il faut demander, c’est comme ça qu’on apprend et qu’on avance dans la vie. J’écris moi-même et après, ça passe à la correction. En même temps, je tiens à ce que ça ne change pas trop, sinon ce ne sera plus la même histoire. J’écris dans un français simple, avec de l’humour, des phrases en éwondo, une manière aussi de promouvoir nos langues qui sont en voie de disparition. 

Gérer toutes ces carrières, c’est une question d’organisation, il y a tellement de choses à faire dans le monde. Quand on se sent engagé, on trouve toujours le temps. 

Quel héritage aimerez-vous laisser aux générations futures ?
J’espère que mon savoir-faire va accompagner les générations futures après mon passage sur terre, que ce soit au Cameroun, en Afrique et ou en France. Paris, c’est la vitrine mondiale de la haute couture, c’est là où tout se passe. Si mon travail doit être reconnu, c’est à Paris et c’est déjà fait. J’ai trimé pour ça, je n’ai pas de vie et je ne le regrette pas.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo

Bref CV 
Naissance : 7 juin 1968
Profession : danseur, écrivain, mannequin, styliste
Profil : hauteur 1m85, poitrine 105, taille 80, confection 54, hanches 90, chaussures 43, cheveux noirs, yeux marrons.
Publications : « Le silence du masque », Editions Les Portes du Soleil, 2008; « Milang mi Ngoré, histoires du soir », éditions Klanba, 2006.

mardi 10 septembre 2013

Gabon : Un deuxième festival de cinéma

La 1ère édition du Festival du film de Masuku s’est déroulée du 15 au 17 août dernier à Franceville, en partenariat avec le Cinéma Numérique Ambulant du Cameroun.

En blanc, Nadine Otsobogo, déléguée générale du festival et à gauche, Valérie Tchuente, animatrice au CNA Cameroun

Perché sur les hauteurs, en plein cœur d’une forêt luxuriante, Franceville est le chef-lieu de la province du Haut-Ogooué, au sud du Gabon. C’est dans cette ville que le défunt président Omar Bongo Ondimba repose depuis juin 2009. C’est aussi là que le film « Obali » (Pierre Marie Dong et Charles Mensah, 1976), devenu un classique du cinéma gabonais, a été tourné. C’est enfin ici que Nadine Otsobogo, réalisatrice et chef maquilleuse, a choisi de loger la 1ère édition du Festival du film de Masuku dont elle est la déléguée générale. Ce festival vient réhabiliter le nom « Masuku » que portait la ville avant que l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza ne la rebaptise en 1880. Un acte symbolique en cette année où le Gabon célèbre ses 50 ans de cinéma.

« Ce festival est un challenge pour nous», a déclaré Nadine Otsobogo à la soirée d’ouverture le 15 août, en présence du gouverneur du Haut-Ogooué et du maire de Franceville. Comme c’est le cas dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne, le cinéma souffre au Gabon d’un manque de moyens financiers, d’une absence de canaux de diffusion et de la désaffection du public. Dans ce contexte, partir de Libreville, la capitale, pour organiser un festival à près de 800 km dans la forêt est une gageure. Le Festival du film de Masuku est le second festival de cinéma du Gabon après Les escales documentaires instituées à Libreville par le feu Charles Mensah.

Le public attentif
Pour cette première édition, l’évènement cherchait encore ses marques. Il n’y a pas eu d’appel à film et une seule projection en salle. Le reste des projections s’est fait en plein air avec l’expertise technique du Cinéma Numérique Ambulant (CNA) du Cameroun qui a effectué pour l’occasion 12 000 km entre Yaoundé et Franceville. Des projections ont donc eu lieu sur le parvis de l’église saint Hilaire et à Potos, quartier chaud de Franceville. Le public, timide au début à cause d’une communication insuffisante, a progressivement pris goût à la chose. Le 17 août, pour la dernière soirée du festival, le public a dû choisir entre les feux d’artifice sur la Place de l’indépendance, à l’occasion de la fête nationale du Gabon, et le cinéma en plein air. Le festival s’en est tiré avec une cinquantaine de spectateurs.  

Sur la timidité du public, Nadine Otsobogo se veut rassurante : « le public africain, gabonais ou d’ailleurs, est toujours timide au départ. Ce qu’on amène c’est nouveau. On savait qu’on n’allait pas avoir 600 mais on a voulu faire une édition test, savoir si ça intéresse les gens de voir des films en plein air. Les gens sont venus et ont posé des questions. Et c’était notre but : amener les gens à se poser les questions sur la culture et le cinéma, sur la nature et la biodiversité». Henri Joseph Koumba Bididi, dont le film « Le collier du makoko » a remporté l’unique prix du festival, le prix du public, abonde dans le même sens : « Au Gabon, la culture n’est pas la chose la mieux partagée. Quand dix personnes se réunissent autour d’un film, il faut déjà dire merci ».

A l’affiche, plusieurs films négociés directement par l’équipe du festival ou puisé dans le catalogue du CNA : les films gabonais « Gozambolowi » de Imunga Ivanga, « Dialemi » de Nadine Otsobogo et « Le collier du makoko » de Henri Joseph Koumba Bididi. De même que « Le silence de la forêt » du Centrafricain Didier Ouénangaré et du Camerounais Bassek Ba Kobhio, « Ceux de la colline » du Suisse Berni Goldblat, tourné au Burkina Faso, et « Pour le meilleur et pour l’oignon » du Nigérien Sani Magori. Des œuvres qui, d’une manière ou d’une autre, mettent en avant les paysages pour coller au thème du festival qui était « Nature et environnement ». Quoi de plus normal dans un pays recouvert à 75% de forêt ? Cette édition était d’ailleurs parrainée par le ministre sénégalais de l’Environnement, Haïdar El Ali.

Une vue de l'assistance
Sur les raisons qui l’ont poussé à créer un festival, Nadine Otsobogo est intarissable : « J’ai toujours voulu partager le cinéma. L’impulsion aussi a été le prix au Fespaco [Dialemi a été sacré Poulain de bronze au Fespaco 2013, Ndlr], ça a confirmé que je devais absolument faire quelque chose au Gabon. Ce qui était très important par rapport aux films c’était de travailler avec le Cinéma Numérique Ambulant. On peut montrer aux gens que le cinéma se projette dans les salles mais est aussi proche du public. Et cette structure-là me plaisait, me parlait et m’interpellait. On voulait quelque chose de proche. Ce que nous défendons c’est la culture pour tous et le Cinéma numérique ambulant était déjà dans cette ligne-là ».

Le festival du film de Masuku devra être annuel et, à la longue, itinérant. En attendant,  Nadine Ostobogo annonce dès la prochaine édition un marché du film, où les Dvd des films diffusés seront vendus. Une demande du public qui n’a eu de cesse de s’interroger sur l’accès aux films après le festival. Le festival du film de Masuku est aujourd’hui une graine. Le souhait formulé par Koumba Bididi est qu’il devienne demain un arbre.

Stéphanie Dongmo, à Franceville 

lundi 9 septembre 2013

Yaoundé : du cinéma pour les aveugles

L’Association nationale des aveugles utilisateurs de matériel informatique a organisé la projection d’un film en audiodescription le 7 septembre, à l'intention des personnes malvoyantes et malentendantes.
Au cours de la projection du film audio décrit

Selon la Fondation internationale de l'œil, il y a près de 45 millions d'aveugles dans le monde, dont la majorité se trouve en Afrique. Au Cameroun, les enquêtes réalisées par le Comité national de lutte contre la cécité (CNLC) en 2005 font état d'environ 640 000 personnes déficientes visuelles, parmi lesquelles 180 000 aveugles et 480 000 malvoyants. Une population qui est généralement exclue des arts et de la culture, et particulièrement du cinéma.
C’est fort de ce constat amer que l’Association nationale des aveugles utilisateurs de matériel informatique du Cameroun (Anaumic) a organisé la projection publique d’un film en audiodescription à l’intention des personnes souffrant de déficience visuelle ou auditive. C’était le 7 septembre à l’hôtel Djeuga palace à Yaoundé, avec l’appui technique du Cinéma Numérique Ambulant (CNA) du Cameroun.  
L’audiodescription est un ensemble de techniques qui permettent de rendre des films, des spectacles ou des expositions accessibles aux personnes aveugles ou malvoyantes grâce à un texte en voix off qui décrit les éléments visuels de l'œuvre. Le film « No et moi » de la réalisatrice française Zabou Breitman, mis à la disposition de l’Anaumic par la Fondation Valentin Haüy, a été diffusé en présence d’une centaine de personnes. Il raconte l'amitié entre une adolescente surdouée et une jeune sans-abri délurée. La particularité ici est que le film, tournée en français, est également sous-titré en français. Une voix off décrit les couleurs, le temps qu’il fait, les gestes, les regards, bref, tout ce qui ne rentre pas dans les dialogues et qui est nécessaire pour comprendre le film.
A la fin de la projection, Lionel Tchuente, secrétaire général de l’Anaumic, a dit sa satisfaction : « le film était poignant et accessible, on a été capable de la découvrir entièrement, sans se perdre ». Même son de cloche chez Martine Mengue, une malvoyante : « je suis passionnée de cinéma et à la maison, je suis souvent frustrée de ne pas comprendre tout le film. Là, je suis très touchée d’avoir assisté à cette projection d’un film audio décrit, j’espère que j’aurais d’autres occasions de le faire ».
Un souhait que l’Anaumic espère réaliser. Daniel Kegni Tiomo, son président, explique : « le but de cette projection était de présenter les innovation faites dans le domaine du cinéma accessible aux aveugles. Grâce aux nouvelles technologies, l’Anaumic travaille à renforcer les capacités des déficients visuels. Nous allons tout mettre en œuvre pour organier une autre projection de ce genre ». Créée en 2008, l’Anaumic a pour ambition de vulgariser l’audiodescription et de promouvoir l’approche handicap visuel dans les arts et la culture au Cameroun. Pour que les non-voyants deviennent des cinéphiles et un public potentiel pour le cinéma camerounais.

Stéphanie Dongmo 

dimanche 1 septembre 2013

Médias: cinemaducameroun.com a fermé

La base de données lancée en mars 2010 par Gervais Djimeli Lekpa a fait faillite depuis juin dernier.

Le site qui a fermé
Gervais Djimeli Lekpa, son promoteur, a saisi l’occasion de la dernière édition du festival Ecrans noirs pour l’annoncer : la plate-forme www.cinemaducameroun.com a définitivement fermé ses portes.  Créé en 2010, cette base de données du cinéma camerounais était la mieux référencée. Le projet incluait une base de données sur le cinéma camerounais, une agence d’acteurs Cinéma du Cameroun et les journées Cinéma du Cameroun dont deux éditions ont été organisées à Yaoundé et à Dschang.

Gervais Djimeli explique les raisons de cette fermeture : « Depuis son ouverture, le site était autofinancé par deux cinéastes : moi-même et Francis Kegne. Il n’a pas reçu de subvention ou d’aide de l’Etat ou privé. Tout projet social a besoin d’un minimum d’accompagnement pour exister. L’envie de sauver le cinéma camerounais ne suffit pas et à un moment, on se dit que peut-être ce n’était pas à nous de le faire. Les personnes qui sont chargées de redéfinir une stratégie de développement du cinéma camerounais ont créé des réseaux où ce sont les mêmes structures qui sont financées, que ce soit en termes de festival ou de production cinématographique. Mais les jeunes qui innovent ne reçoivent que l’indifférence ».

En trois ans d’existence, le site a reçu 1 300 000 visiteurs et permis de donner une visibilité aux activités de l’agence et du festival liés au projet. Des activités censées financer le fonctionnement du site. Par exemple, en retenant une commission sur chaque placement d’acteur. Mais comme l’explique Djimeli Lekpa, les comédiens prennent la clé des champs quand ils empochent leurs contrats. Et puis, « de toutes les façons, les commissions ne permettaient de payer que quelques frais relatifs. Sans un minimum d’accompagnement financier et matériel, on ne pouvait arriver qu’à cette fermeture ».

Le site a fermé, l’agence continue ses activités. Gervais Djimeli annonce la création d’un nouveau site internet qui va permettre de vendre des films et des acteurs camerounais sur internet de manière beaucoup plus efficace. En attendant, le réalisateur, en véritable touche-à-tout, lance une plate-forme musicale en ce début du mois de septembre : Play’by DLG est une base de données destinée à la promotion des artistes musicaux camerounais.

Stéphanie Dongmo