mercredi 30 octobre 2013

Roman : Une saison blanche et sèche

Léonora vient de publier son septième roman, qui marque aussi son entrée chez un nouvel éditeur, Grasset. La saison de l’ombre redonne vie, l’espace d’un roman, à une communauté qui a perdu 12 de ses hommes, sans savoir qu’ils sont pris dans la traite négrière. Mais surtout, elle montre le désarroi de ce peuple face à des événements qui les dépassent complètement. Occasion pour l’auteure de donner à voir, une fois encore, sa dextérité à manier la langue française, tout en lui imposant sa langue maternelle, le douala. La saison de l’ombre a remporté le Grand Prix du roman métis décerné par la ville de Saint-Denis, à la Réunion. Il est également en lice pour le Prix Femina en France.

Léonora Miano

Comment sait-on qu’on est à la frontière d’un monde nouveau et que le quotidien, tel qu’on l’a vécu jusqu’alors, ne sera plus jamais pareil? Le peuple Mulongo vit à l’intérieur des terres, quelque part dans une partie du monde que le lecteur sait être l’Afrique centrale. Cette communauté pacifique, qui vit repliée sur elle-même, ne connait du monde que le peuple Bwele, son voisin immédiat. Un jour, un incendie éclate dans le village. 12 hommes, dont dix jeunes initiés, disparaissent. Les mères de ceux qui ne sont ni morts ni vivants sont mise en quarantaine, pour conjurer le mauvais sort. Mais cela ne suffit pas à sauver le village.

De tout le peuple Moulongo qui veut retrouver ses hommes sans savoir où chercher, seuls quelques-uns approcheront la vérité. Tous ne la comprendront pas. Mais surtout, aucun ne se doutera que ses conséquences seraient aussi désastreuses ni aussi définitives ! Dans cette écriture subtile, le mystère se dévoile progressivement suivant l’évolution des personnages principaux, notamment Eyabe, une des mères qui, transgressant toute les règles, part rendre un dernier hommage à son fils qui repose désormais là où il n’y a plus que de l’eau.   

Les disparus ont été enlevés par les voisins Bwele pour être donné aux Côtiers qui, à leur tour, les ont donnés aux hommes blancs en échange de produits qui flattent leur vanité. Les hommes privés désormais de liberté sont embarqués dans des bateaux. Où vont-ils ? Mystère ? Que vont-ils y faire ? Boule de gomme. Ce que l’on sait en revanche c’est que là-où ils vont, les attend une vie de souffrances. Ce que l’on soupçonne enfin, c’est que c’est le début de bouleversements innommables. Et que rien, jamais plus, ne sera comme avant.

      

Une tranche d’histoire
Après avoir exploré une Afrique subsaharienne en proie aux convulsions de toutes sortes dans sa première trilogie [L’intérieur de la nuit (2005), Contours du jour qui vient (2006) et Les aubes écarlates (2009)], après s’être intéressée aux destins d’Afrodescendants qui essaient, tant bien que mal, de reconstruire une identité en miette dans sa seconde trilogie [Tels des astres éteints (2008), Blues pour Elise (2010) et Ces âmes chagrines (2011)], Léonora Miano remonte à la source du mal. L’esclavage à qui on doit aujourd’hui les sociétés africaines déréglées et le déchirement des descendants d’esclaves. Au menu de La saison de l’ombre, la consternation, le déchirement et les bouleversements.

Vu d’aujourd’hui et surtout du Cameroun, l’esclavage est une chose abstraite. Ce sombre chapitre de notre histoire insuffisamment enseigné à l’école, s’est effacé dans la mémoire des peuples. Il y a quelques années, l’opinion publique l’a redécouvert grâce aux opérations de retour aux sources des Africains Américains qui se sont découvert une origine camerounaise par des analyses ADN. Miano apporte des mots aux silences de l’Histoire, l’ombre étant dans ce livre la forme que prennent nos silences. Elle redonne chair aux déportés, une origine à leurs existences, des questionnements à leurs départs forcés. Car les esclaves, qu’ils soient restés à quai, morts durant la traversée ou qu’ils aient atteint l’autre côté de la mer avaient un nom, une famille, une communauté qui les chérissait.

Les morts ne sont pas morts
Le roman est empreint de mysticisme, dans un contexte vierge de la chrétienté et de l’islam. L’au-delà occupe une place importante dans la régulation de la société et dans la compréhension des événements  D’ailleurs, les Mulongo n’accèderont à la vérité qu’à partir des communications d’avec les disparus, dont les âmes sont perdues puisque « le chemin du retour s’est effacé, il n’y a plus que de l’eau… » Car ici, les morts sont plus que jamais vivants. Leur parole est même plus précieuse, puisqu’ils détiennent la vérité. Le roman repose sur la philosophie subsaharienne de la vie, à cette époque précoloniale. La dernière parole du livre est celle d’Ebeise, la vieille matrone des Mulongo qui, après avoir vu ce que ses yeux ne devaient pas voir, conclut : « Sachons accueillir le jour lorsqu’il se lève. La nuit aussi ». Comme quoi, tout est bien dans le meilleur des mondes possibles. Et le jour succède toujours à la nuit.   

Les femmes en héroïnes
Dans cette littérature du chaos, Léonora Miano revient sur un sujet qui la hante et qui transparaît dans chacun de ses livres, celui des origines et de l’identité. La langue est travaillée et maîtrisée, avec des formulations traduites, des mots du douala qu’elle impose au lecteur et qui ralentissent la lecture, sans la gêner. L’histoire est racontée avec, comme très souvent chez Miano, des femmes en héroïnes : fortes, indépendantes et tendres à la fois, elles vont au bout de leur quête. Le texte lui-même repose sur des recherches qu’elle a entamées depuis longtemps sur l’esclavage. Elle s’est notamment inspirée d’un rapport de mission menée avec le concours de la Société africaine de culture et de l’Unesco au sud du Bénin. Intitulé « La mémoire de la capture », ce rapport démontre l’existence d’un patrimoine oral au sujet de la traite transatlantique des hommes noirs.

Mais ce n’est pas un roman historique, prévient l’auteure qui, en 2010, a créé l’association Mahogany  dont l’objectif est de permettre le dialogue entre Subsahariens et Afrodescendants, pour corriger 500 ans d’histoire. La saison de l’ombre marque aussi le départ de Miano de Plon, qui a publié ses six romans précédent. Elle faisait déjà état de désaccords avec son éditeur dans une interview publiée qu’elle nous a accordé en novembre 2012 et disponible sur ce blog, et l’attribuait aux sujets de ses écrits depuis Blues pour Elise : « Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes livres et qu’on m’impose d’être l’écrivain de la France noire ou de n’écrire que sur l’Afrique », martelait-elle alors. Elle a fini par rejoindre Grasset, autre éditeur français.
Stéphanie Dongmo

Léonora Miano
La saison de l’ombre
Grasset, août 2013

235 pages
17 euros 

dimanche 27 octobre 2013

Léonora Miano : « Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes livres »

L’auteure du recueil de conférences Habiter la frontière qui vient de paraître chez L’Arche explique qu’il s’agit de mettre en relation toutes les identités qui composent un individu. Elle exhorte aussi l’Afrique à développer une conscience forte d’elle-même et parle du racisme anti-Blanc.
Interview réalisée en novembre 2012 à Paris et publiée sur Africultures.com. La note de lecture de son dernier roman, « La saison de l’ombre », à lire dès le 30 octobre 2013 sur ce blog. Cette interview permet de comprendre les motivations de ce dernier livre. 

Léonora Miano. DR
C’est quoi, habiter la frontière ?
Pour moi, c’est une manière poétique de me définir puisque je considère que mon identité est faite d’un assemblage des choses et que finalement, je suis en relation avec des mondes différents. Je n’envisage pas le terme de frontière comme les Occidentaux pour qui c’est là où la porte se ferme, un lieu de rupture, l’endroit qui protège de l’autre. Pour moi, la frontière est un lieu de médiation, là où on rencontre l’autre. Le meilleur moyen de l’habiter c’est d’accepter qu’ils soient constamment en relation, cette part européenne et cette part africaine. 

Quand on vient d’un pays comme le Cameroun qui a été traversé par plusieurs nationalités européennes différentes, qui a deux langues officielles, où le côté disparate de ses populations et de leur culture est très visible, où il y a tellement de langues locales dont aucune n’est dominante qu’on est obligé de parler les langues étrangères pour se faire comprendre, la logique de mélange pour créer l’identité est plus évidente. Ca fabrique des identités particulières du fait qu’on est obligé d’être dans une démarche qu’Edouard Glissant aurait appelé de « créolisation ». Je crois que ma sensibilité frontalière vient de là.

Vous dites que l’Africain est un hybride culturel. Mais la question ne se pose pas de la même manière selon que l’on vive en Afrique ou à l’étranger ?
Certainement. Je pense d’ailleurs que quand on vit en Afrique, on n’a pas forcément conscience de cette hybridité. Beaucoup d’Africains qui vivent sur le continent pensent être proches d’une africanité authentique. Or, la rencontre entre l’Europe et l’Afrique a modifié énormément de choses dans nos espaces. Peut-être que je m’en aperçois un peu plus parce que je cherche à reconstituer, de manière même empirique, notre passé. Pour la zone Afrique centrale, si on essaie d’imaginer la vie dans les temps précoloniaux, il est difficile de savoir précisément ce qu’on mangeait. Le manioc ? Ce sont les Portugais qui l’ont amené, le piment vient d’Asie, mais on se les a totalement approprié. 

Quand Kelman a écrit son ouvrage « Je suis noir et je n’aime pas le manioc », tout le monde lui est tombé dessus. Mais si on réfléchit bien, les Noirs ne devraient pas aimer le manioc. L’histoire des populations subsahariennes, à partir de l’époque de la traite négrière, est une histoire d’adaptation et de survie. Et quand cette histoire tumultueuse de crainte et de mort se termine, la colonisation commence avec beaucoup de brutalité. C’est quelqu’un qui vient chez vous et qui prend les clés. La peur, le fait de devoir se protéger, ça change votre vision du monde, votre rapport à votre propre espace. On n’a pas réfléchit à ce que tout ça fait de nous aujourd’hui. Je pense que notre génération peut commencer à faire ce travail. Je n’en veux pas aux auteurs qui nous ont précédés de n’avoir pas pu le faire, ils se débattaient avec la colonisation et la priorité, c’était de se sortir de cette domination.

Finalement, est-ce que tous les hommes n’habitent pas la frontière dans le sens où la pureté culturelle n’existe pas?
Moi je crois ça. Aujourd’hui, c’est très manifeste mais quand on parle d’hybridité et d’héritage, même culturel, on se rend comporte que c’est toujours les populations non blanches qui le reconnaissent plus facilement. L’Europe ne reconnaît pas encore qu’elle a été modifiée dans sa rencontre avec d’autres peuples, même si elle les a dominés. J’essaie d’expliquer ça aux gens par mes conférences, leur dire qu’ils boivent le café alors que le café ne pousse pas en Europe. Donc, de dire que j’habite la frontière ne fait pas de moi quelqu’un de particulier, on est dans un monde de la  multi-appartenance. Il y a simplement des gens qui nomment plus facilement cette multi-appartenance que les autres. Les Européens aiment bien s’imaginer qu’ils sont restés purement Européens, ce qui est faux.

Vous préférez le terme subsahariens à africain. L’Afrique ne se limite pourtant pas au Sud du Sahara ?
Non mais moi, je veux parler de l’Afrique subsaharienne. C’est ma petite révolte, ça fait partie de toutes les désignations qu’on nous a jeté dessus sans nous demander notre avis. J’aimerais bien savoir si nos ancêtres avaient une connaissance globale de leur espace et comment ils l’appelaient. Quand on dit l’Afrique ici en Europe, c’est l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, c’est le Maghreb, y compris pour un grand nombre de Maghrébins. Donc, j’estime qu’on devrait avoir un nom spécifique. Pour moi, le nom c’est quelque chose d’important, peut-être que ça va rester un délire d’écrivain ou que je ne verrai pas ça de mon vivant. Mais je crois que même si on ne se rebaptise pas, il est très important de donner au nom qu’on porte une signification qu’on a soi-même choisi ou en tout cas, qui a du sens pour nous. Je ne suis pas sûr que depuis qu’on nous a appelé Noirs, ça veut dire quelque chose pour nous. Mais ça veut dire quelque chose pour les gens qui nous ont appelés à partir des mots ne venant pas de nos langues.

Vous dites aussi Français d’ascendance subsaharienne, et non d’origine subsaharienne. C’est quoi la nuance ?
L’ascendance englobe à la fois l’origine récente et l’origine plus ancienne, j’arrive à parler à la fois de quelqu’un comme moi qui est né au Cameroun, et de quelqu’un qui est né aux Antilles, qui est d’origine caribéenne mais qui a une ascendance subsaharienne qu’on ne peut pas effacer. Ce terme, Je l’ai surtout récupéré de l’anglais où on parle de people of african descends pour parler des gens qui ont une ancestralité subsaharienne. Les anglophones, et en particulier les Américains, concernant les questions qui touchent aux expériences afro-diasporiques, n’ont pas peur de créer un vocabulaire qui va s’adapter à ce corpus-là. En France, on n’est pas pressé de créer un vocabulaire parce qu’on croit qu’il n’y a pas de corpus, or c’est faux. En termes de vocabulaire, je tâtonne un peu parce que nous ne sommes pas si nombreux dans l’espace francophone à vouloir mettre des mots sur ces réalités-là.

Vous écrivez que l’urgence en Afrique n’est pas la politique ou l’économie, mais plutôt de développer une conscience forte de soi. Mais comment se définir lorsqu’on a subit la traite négrière, l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme ?
Déjà, je crois que même si les temps sont durs, on peut quand même commencer à examiner notre histoire et nous demander ce qu’on a envie d’apporter au monde. Je crois qu’il faut se pardonner déjà d’avoir été défait. Même s’il y a eu défaite, on a su survivre alors que d’autres peuples ont disparu. Aux Etats-Unis aujourd’hui, on se rend compte que même quand on parle des minorités, on ne parle même pas des Amérindiens. Ils sont dans leurs réserves et on ne rêve même pas du jour où il y aura un président amérindien. L’Afrique n’en est pas là. Elle a été très blessée, elle a elle-même enfanté certains de ses bourreaux, mais je pense qu’elle a fait la preuve de sa solidité. Il faut prendre conscience de ce qui nous reste de beau, de ce qu’elle peut accomplir. Je ne tais pas certaines horreurs qui ont pu se jouer dans nos espaces mais l’horreur est humaine. Nous ne sommes pas les plus sanguinaires, ni les plus ignorants. C’est très important de se regarder avec un peu d’amour. J’ai l’impression que certains Africains s’imaginent que l’Afrique est née avec la colonisation. On n’a pas de mémoire, il faut essayer de résoudre ce problème-là. C’est à nous aussi de décider de ce qu’on va apprendre aux gamins à l’école. Il ne revient pas aux gens qui essaient de survivre au quotidien de le faire, mais aux politiques.

Depuis votre premier roman, vous avez engagé un choc frontal avec les Africains, pour les obliger à se prendre en main. Avez-vous le sentiment d’avoir été entendu ?
Entendu par les politiques ? Mais non, ils s’en foutent. J’espère que cette génération va passer, qu’ils nous redonnent notre Afrique. On a eu des gouvernants qui se comportent avec les populations comme si elles étaient leurs ennemis. On a peut-être la palme d’or des gens qui piétinent leur peuple à ce point, qui le méprise si profondément…

Parlant d’hommes politiques, Paul Biya célèbre aujourd’hui (6 novembre 2012) ses 30 ans au pouvoir. Quel sentiment vous inspire cet anniversaire ?
C’est une aberration. J’ai grandi dans un pays dont on était fier, on aimait être Camerounais et j’ai l’impression qu’on m’a arraché mon pays. Quand je vais au Cameroun et que je mène des ateliers d’écriture avec des gamins de 17 ans qui ne savent pas que la traite négrière a existé, ça me déchire le cœur. Les gamins ont la soif d’apprendre mais tout s’est tellement dégradé. J’ai juste l’impression que c’est un autre pays qui a usurpé le mien.

Parlant de cet atelier que vous avez animé en 2011 à Douala, est-ce qu’il y a de l’espoir ?
Déjà, il faudrait que je puisse animer d’autres ateliers au Cameroun et c’est mon souhait. Je pense qu’on peut faire beaucoup de choses avec nos jeunes qui sont disposés à apprendre, il faut seulement qu’on leur propose des choses. Ce n’est pas de la jeunesse que je désespère, je désespère en voyant la qualité des éducateurs et l’ambiance générale au Cameroun où tout semble devenu tellement brutal. Moi, j’ai été très bien formée au Cameroun par des professeurs Camerounais, notamment au Collège Liberman, au lycée de New-Bell et au lycée Joss. Quand je suis arrivé en France, j’étais aussi bonne, sinon plus que mes camarades. Je ne suis pas sûre qu’aujourd’hui, ce soit toujours la même chose.

Vous dites qu’au Cameroun, vos compatriotes vous perçoivent comme une étrangère. Pourtant, « L’intérieur de la nuit » est inscrit au programme scolaire. N’est-ce pas une reconnaissance de votre travail ?
Je me suis toujours senti un différente parce que je venais d’un milieu familial marginal. Mais je suis ravie que « L’intérieur de la nuit » soit au programme au Cameroun. Le livre avait déjà été abondamment salué à l’étranger, ce n’est pas non plus comme si c’est le Cameroun qui a fabriqué ce succès. C’est très relatif d’être au programme, les parents n’achètent pas les livres et il y a beaucoup de piraterie.

Votre livre évoque aussi les rapports entre l’écrivain subsaharien et son éditeur Blanc, quels sont-ils ?
C’est une relation personnelle. Les éditeurs qui travaillent avec moi peuvent ne pas être d’accord avec ce que j’ai envie de faire mais à la fin, c’est l’auteur qui tranche. Ils peuvent refuser des textes, c’est dans les contrats. C’est très clair et très transparent comme relation. Je suis un peu rebelle, j’ai besoin de faire ce que j’ai dans la tête. Il faut que ce soit comme ça, sinon, je ne peux pas défendre mes livres.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire des textes pour le théâtre après la poésie, la chanson, la nouvelle et le roman ?
J’ai écrit des chansons avant d’écrire des romans. J’ai toujours eu envie de pratiquer des formes d’écriture différentes, ça me permet de fabriquer des formes nouvelles d’écriture que je vais ensuite mettre dans le roman, ou de travailler des matières que je n’ai pas envie de travailler dans le roman. Pour moi, ce qui compte c’est d’écrire, pas tellement la forme, même si j’aime beaucoup écrire des romans.

A quand la suite annoncée depuis 2010 de « Blues pour Elise »?
La suite de « Blues pour Elise » est prête, mais je n’aime pas tellement en parler parce que c’est des moments douloureux dans mon parcours d’auteur. Quand j’ai commencé à proposer en France des livres qui mettaient en scène des Noirs vivant en Europe, ça n’a pas été très bien reçu. En 2008 paraît « Tels des astres éteints » qui, pour moi, est un texte important dans ma production mais qui a été mal reçu par une partie de la critique. Pas en raison de sa qualité mais en raison de son propos. En France, les gens se sentent agressés par ces questions. Les auteurs noirs francophones doivent écrire des histoires qui se passent en Afrique ou dans les Caraïbes. Et si ça se passe en France, il faut que ce soit dans les milieux où les gens vivent dans des cagibis et n’ont pas de papiers. Je ne dis pas que ça n’existe pas mais ce n’est pas toute notre réalité dans ce pays. 

Quand après « Tels des astres éteints » j’ai proposé « Blues pour Elise » à mon éditeur, il a dit non, en me disant que cela va nuire à mon statut d’auteure internationale. S’en est suivi des désaccords et finalement, le livre est sorti. Mais ce sont les blogs qui ont assuré sa promotion. Quand il a été question de publier la suite qui avait été annoncé, là on s’est tellement fâché que j’ai eu l’impression que cette suite avait été entaché de cette mauvaise énergie. J’ai eu besoin de m’échapper un peu de tout ça, c’est beaucoup de violence. On est quand même très seuls dans ces moments-là, les gens n’imaginent pas qu’il faut encore batailler pour imposer des sujets comme ça.  Je refuse qu’on me dicte le contenu de mes livres et qu’on m’impose d’être l’écrivain de la France noire ou de n’écrire que sur l’Afrique.

Vous êtes citoyenne française depuis 2008. Qu’est-ce qui vous a décidé à ce choix, vous sentez-vous française ? 
Une question purement pratique parce que je ne crois pas que l’identité a quelque chose à voir avec la citoyenneté. Il se trouve que j’ai un enfant français et que ce n’était pas à cet enfant de changer de nationalité, mais à moi. Je me sens comme quand je suis arrivé en 1991, mon identité était déjà formée.

C’est quoi être un Noir en France aujourd’hui ?
Ça dépend pour qui. Pour les gens qui ont grandi ici, ce n’est pas la même chose que pour nous qui avons grandi ailleurs parce que l’Afrique, en dépit de toutes ses meurtrissures, donne une force que ceux qui ont grandi ici n’ont pas toujours eu, parce qu’elle nous permet de consolider notre individualité de manière plus affirmée. Quand on grandit dans une situation de minorité et qu’on ne voit jamais le reflet de soi-même nulle part, je crois que ça fragilise beaucoup. Ce n’est donc pas un hasard que par exemple, dans le domaine de la littérature, on voit que les voix noires qui émergent soient des gens qui ont grandi en Afrique ou aux Antilles, mais pas sur le sol hexagonal. Ensuite, quand on a évacué cette question de comment on se construit, être Noir en France ça reste, pour la plupart, d’être marginalisé, de ne pas avoir voix au chapitre, de ne pouvoir s’exprimer que si les autres vous le permettent… 

Il n’y a pas de communauté noire en France, les Noirs n’ont pas pris l’habitude de se fédérer pour faire des choses concrètes ensemble. C’est un pays qui a obligé les gens à s’individualiser mais dans un sens négatif. En général, celui qui aura réussi à acquérir des choses aura très à cœur de les garder pour lui. Moi, je n’ai jamais réussi, même en remettant un manuscrit en main propre, à faire publier un auteur. Pour l’éditeur, vous êtes le Noir qu’il a choisi, il ne veut pas publier toute votre bande. Mais ce n’est pas aux Noirs mais aux autres de changer de regard, c’est à l’Occident de la faire.

Quel regard portez-vous sur le débat sur le droit de vote des étrangers non communautaire en cours en France ?
Est-ce que je peux dire ce que je pense vraiment? Sur le principe, cela ne me dérange pas. Mais si je me pose la question de savoir si je veux que les Chinois votent au Cameroun ? Je me dis non. Pourquoi est-ce que ce que je ne veux pas pour le Cameroun, je le voudrais pour la France ? Mais j’ai l’impression que ce débat est un pis-aller, une manière finalement de ne pas favoriser l’acquisition de la nationalité française. Il y a plein de gens qui vivent ici depuis 30 ans, qui ont des enfants Français, qui demandent la nationalité française et ne l’obtiennent pas, mais qui vont pouvoir voter aux élections locales. Je crois que ce qu’il faut faire, c’est de simplifier l’accès à la nationalité française pour des gens qui le veulent. Et là, il ne sera plus question du vote des étrangers. Le vote des étrangers non communautaires aux élections locales, ce sera une manière de fermer cette porte et de résoudre ce problème que la France a avec sa manière d’accueillir les gens toujours à moitié, de prêter plutôt la nationalité et non de la donner vraiment.

Et quel regard portez-vous sur un autre débat en cours en ce moment, le racisme anti-Blanc ?
C’est une question intéressante parce que ça nous oblige à nous poser la question c’est quoi le racisme. Si le racisme c’est la détestation de l’autre parce qu’il est différent, ça peut exister. Je crois que ce sera rare de trouver des gens qui n’aiment pas les Blancs seulement parce qu’ils sont Blancs. Ceux qui n’aiment pas les Blancs, c’est peut-être parce qu’ils ont trouvé dans leur mémoire des éléments historiques qui les blessent. Ce n’est pas l’individu qu’on n’aime pas mais un système et l’individu va prendre pour ce système. Ce sont des questions complexes en fait. Moi, ma définition du racisme c’est quelque chose qui est sorti de la pensée blanche qui a décidé un jour qu’elle allait catégoriser l’humanité en races, qu’elle allait même les hiérarchiser et qu’il allait y avoir des catégories qui allait même sortir du genre humain et ça été les Noirs. La race, c’est véritablement un problème occidental qui l’a théorisé et a agi en conséquence. Est-ce qu’on peut dire que les autres sont racistes ? Je ne sais pas. 

En tout cas, ce n’est pas cette discrimination à l’embauche que tous les autres peuvent subir. Une fois qu’on a décidé que l’autre était fondamentalement différent, il reste de l’agresser, en prenant pour argument cette différence. C’est ce que les Noirs ont vécu. Je ne sais pas si les Blancs subissent ça. Quand on parle du racisme anti-Blanc aujourd’hui, on parle des gens qui vont insulter un Blanc dans la rue. Mais est-ce qu’on est dans un pays où un Blanc peut avoir du mal à se loger parce qu’il est Blanc, où il peut avoir du mal à trouver un travail parce qu’il est Blanc ? Je ne crois pas. Si on considère cette définition du racisme, on n’est pas encore là. Le reste, ça peut se voir dans toute l’humanité, mais je n’appelle pas ça du racisme.

Vous venez justement de recevoir le Prix Seligmann contre le racisme pour votre livre « Ecrits pour la parole ». Quel sentiment vous inspire cette distinction?
Ça m’a surtout touchée pour ce texte-là parce que quand il a été monté au théâtre récemment, il a été taxé de raciste. Ce prix vient un peu nous mettre du baume au cœur. « Ecrits pour la parole » est une parole qui est très libre et souvent inhabituelle. En lisant le communiqué de presse du prix  Seligmann, j’ai eu le sentiment qu’il y a des gens qui pouvaient comprendre ma démarche et l’objectif derrière. Evidemment, ce n’est pas pour bêtement agresser les gens, c’est pour entamer une conversation que je pays n’a pas forcément envie d’avoir mais qui me semble nécessaire. Moi en tout cas, c’est quelque chose qui m’importe parce que j’ai mis un enfant au monde dans ce pays il y a 17 ans et je veux qu’il puisse vivre sereinement sa vie.

Depuis « L’intérieur de la nuit », vous accumulez les prix. Pour vous, est-ce une consécration ?
J’ai beaucoup de chance, je suis toujours pleine de gratitude. Ça ne me monte pas à la tête non plus, mon premier roman est sorti quand j’avais 32 ans et j’avais déjà un peu vécu. Je ne crois pas encore avoir réussi à modifier le cours des choses, mais ça me touche et j’espère que ça donne de la force à d’autres.  Et je souhaite que d’autres personnes sachent que c’est possible, qu’elles peuvent s’exprimer librement, que ce n’est pas toujours facile mais que c’est possible.

Dans vos textes, vous évoquez les tensions entre Français subsahariens et Français Caribéens. Comment se manifeste cette tension ?
Ça dépend, il suffit d’aller aux Antilles en étant africain pour s’en apercevoir. Ici, en France hexagonal, les rapports sont cordiaux quand ils sont individuels. Mais quand il s’agit de fédérer les groupes pour faire des choses, c’est plus difficile parce qu’il y a de vieux contentieux, il y a l’histoire… C’est une tension qui existe entre les Africains et les afro descendants liée au fait que les descendants qui n’ont pas choisis d’être dans les pays occidentaux ont du mal à voir des Subsahariens débarquer et, en quelque sorte, leur faire concurrence dans des espaces où ils ont souffert. Je crois que ce qui aiguise encore cette tension c’est le fait que l’Afrique subsaharienne n’a pas une parole claire sur ce sujet. 

Quand des Afrodescendants vont dans nos pays, souvent ils se rendent compte que cette histoire n’est même pas enseignée et que les Subsahariens ne comprennent même pas ce qu’ils viennent chercher, ça les heurte profondément. Je crois qu’il faut faire ce travail sans culpabilité excessive, en sachant qu’ils vont nous apporter une meilleure de connaissance de nous-mêmes. Quand on parle de la traite négrière au Cameroun, sujet dont on commence à parler depuis 2010 où on a vu ces délégations d’Afro-américains venir à Bimbia, on s’aperçoit que finalement, les populations ne sont pas parties seulement de l’ouest Cameroun comme on l’a pensé à l’époque. Quand ces Afrodescendants viennent, ils ne sont pas remplis de haine, ils ont plutôt envie de trouver un espace qu’ils pourront appeler la maison. Pourquoi ne pas leur ouvrir cet espace-là, pourquoi ne pas créer un mémorial ou un endroit où ils peuvent se recueillir tranquillement ? Il y a quelque chose à réparer.

D’où vous vient cette sensibilité pour l’identité des Afrodescendants ?
J’ai toujours eu ces questions diasporiques très à cœur. Quand j’étais petite fille et qu’on a abordé l’histoire du Cameroun à l’école, on a commencé par la traite négrière. C’était vraiment très bref et dans notre livre d’histoire, on voyait un soi-disant chef de la Côte et il y a avait une colonne de captifs dans le fond de l’image. Ça m’a traumatisé. Et moi je veux savoir qui était ce chef, comment s’appelait-il, c’étaient qui ces gens dans le fond de l’image, où est-ce qu’on les a amenés. Petite fille, je posais déjà ces questions mais sur la Côte d’où je viens, on n’aime pas parler de ces choses-là. C’est quelque chose qui est dans mon imaginaire depuis toujours. J’ai même transmis ce traumatisme là au personnage Musango dans « Contours du jour qui vient ». Les auteurs travaillent à partir de leurs obsessions, j’ai ce truc-là en moi.

Quel est le but de votre association, Mahogany, qui rassemble Subsahariens et Caribéens ?
Mahogany, c’est un arbre de la famille acajou qu’on trouve dans les Amériques et en Afrique. C’est une manière de parler des peuples noirs sans utiliser une terminologie racialisée. L’objectif de l’association Mahogany est de proposer notre propre parole sur ces expériences subsahariennes et afrodescendantes à tout public, leur permettre de se croiser, de dialoguer. On a besoin de ce dialogue et l’espace neutre de la France peut peut-être le favoriser pour qu’il puisse se prolonger ailleurs. On agit à travers des conférences, des ateliers et des rencontres autour d’auteurs, pour permettre à nos chercheurs afro de s’exprimer. L’association porte aussi un prix littéraire qu’on a décidé d’élargir aux auteurs Blancs qui écrivent des fictions qui se passent en Afrique.

Vous considérez-vous comme un médiateur entre l’Afrique et les Afrodescendants ?
Comme je pense que cette relation est nécessaire, j’essaie de la créer à mon niveau.

Est-ce que finalement, l’écriture ne suffit pas à un écrivain pour défendre ses idées ?
A un écrivain, certainement que ça suffit. Mais moi, je suis quelqu’un qui s’engage. Et quelque livres, j’ai eu la chance de beaucoup voyager, j’ai beaucoup reçu. C’est aussi une manière de partager avec les autres. Peut-être que l’audience que j’ai peut permettre à d’autres de s’exprimer. Au début, certains m’ont demandé : pourquoi tu mets en lumière la concurrence ? Je mets en lumière les miens, je suis heureuse de les recevoir pour parler de leurs univers. Quand j’organise une rencontre avec un auteur, je vais lui poser des questions différentes, il va pouvoir se livrer d’une manière que le public qui vient n’irait pas forcément les entendre ailleurs. C’est profitable à tous.

Qu’est-ce que l’écriture pour vous ?
Intimement, c’est ma manière de rencontrer l’autre le plus sainement possible. Je suis quelqu’un d’assez sauvage et ça m’oblige à rencontrer les gens. C’est ce qui me permet de ne pas être folle, de ne pas être un serial killer, c’est ce qui m’équilibre. Ce qui m‘inspire c’est la vie de tous les jours et toutes ces questions liés à l’histoire de la dispersion des peuples subsahariens qui m’habitent. Peut-être que c’est une espèce de folie, mais j’ai besoin de travailler cette matière-là, je cherche mes réponses, quelque chose qui me permette de la nommer. Je ne peux pas aller au Brésil où je vois des gens qui sont vraiment comme à la maison et que, de la maison, on n’entende pas une voix parler d’eux. C’est quelque chose qui m’est insupportable. C’est comme si on méconnaissait un morceau de soi-même. Au Brésil, dans la région de Bahia, il y a des gens qui sont tellement subsaharien et ça fait 400 ans qu’ils y sont, ça n’a pas pu s’effacer. Est-ce qu’il n’y a pas quelque chose de profondément injurieux à les ignorer ? Ca dit tout de la relation qu’on a à nous-mêmes.

Parmi tous vos livres, lequel chérissez-vous particulièrement ?
C’est comme si on demandait à une maman quel est son enfant préférez. Mais c’est « Tels des astres éteints ». Je suis presque entré en dépression après certaines réactions de la presse. Je l’ai porté en moi pendant longtemps, je voulais déjà l’écrire avant « L’intérieur de la nuit », je savais que je l’écrirai. Pour moi, c’est mon grand livre et j’aurais aimé avoir le Goncourt des lycéens pour celui-là.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo à Paris, novembre 2012  

mardi 22 octobre 2013

Koumba Bididi : "Notre cinéma doit être efficace"

Réalisateur gabonais du long-métrage « Le collier du Makoko » sorti en 2011, Henri Joseph Koumba Bididi revient sur la production et la distribution de ce film dans lequel joue notre compatriote Eriq Ebouaney, et qui a été diffusé à Yaoundé en juin 2012 à l’occasion du festival Ecrans noirs.

Henri Joseph Koumba Bididi. DR

Comment réagissez-vous au qualificatif de « film le plus cher d’Afrique subsaharienne » qui accompagne votre film ?
Avec un sourire parce qu’il y a une mythologie qui s’est créée autour de ce film. Certains ont commencé à dire pendant que le film se tournait qu’il a coûté 4 milliards, aujourd’hui c’est 5 milliards de Fcfa, parfois 10 milliards. Il plaît à certains milieux du cinéma de le dire. Ce qui est vrai, c’est que ce n’est pas le genre de film qu’on attend de nous dans le système, c’est donc devenu un buzz. Depuis mon premier long-métrage « Les couilles de l’éléphant » je connais ça et je l’assume.

Dans la réalité, ce film a coûté 4 millions d’euros, c’est-à-dire à peu près 2,7 milliards de Fcfa qui se justifient quand vous regardez le film. Le film se tourne en France et au Gabon en 35mn avec des effets spéciaux. Toutes les scènes qui mêlent des hommes et des animaux sont fabriquées en studio, les scènes des insectes sont reproduites en 3D. C’est un film fait avec les dernières technologies. On n’a pas cherché à faire l’à peu près et c’est ce qui justifie le coût du film. Son histoire l’exigeait. Les 50% du budget du film sont allés dans la logistique. Le reste se partage entre la technique et l’humain. C’est un film complexe à faire et je suis heureux de l’avoir fait parce qu’il présente toutes les facettes du cinéma : le travail avec les animaux et avec les enfants, les trucages, etc…

Une scène du film. DR
Combien de temps vous a-t-il fallu pour préparer ce film ?
Ce film s’est préparé sur 4 ans, le tournage a duré trois mois. Nous le préparions pour les 50 ans du cinéma au Gabon. Il a une histoire par rapport au premier long métrage tourné au Gabon. Le scénario original a été écrit par Robert Darène qui a réalisé le premier long-métrage gabonais, « La cage » en 1962 avec Philippe Maury qui en est l’acteur principal et le doyen du cinéma au Gabon en tant qu’acteur et réalisateur. Et à l’intérieur, vous retrouvez Patience Dabany qui a été  une des plus grandes productrices du cinéma au Gabon.

Quelle est la portée de ce film dans la cinématographie gabonaise aujourd’hui ?
C’est un hommage parce que l’avenir sort toujours du passé. La particularité de ce film c’est 50 ans après, d’avoir l’occasion de réunir tous ces acteurs qui nous ont amené au cinéma et qui nous ont fait rêver. Ce sont des moments rares dans une cinématographie. Robert Darène a aujourd’hui 100 ans. Dans le même temps, on révèle de nouveaux talents. Dans le générique vous verrez qu’il n’y a pas moins de quatre jeunes réalisateurs qui m’entourent, qui profitent de cette expérience et qui comptent parmi la relève la plus sûre de ma génération.

Comment ce film a-t-il été financé ?
Il a été entièrement financé par la société « Les productions de l’Equateur » qui assume en totalité la production du film. Elle a été au-devant pour négocier, trouver des sponsors, rechercher du cash-flow.

Vous avez pu trouver des financements privés au Gabon. La personnalité du producteur y est-il pour quelque chose ?
Oui, beaucoup. Monsieur Jeff Bongo Ondimba, indépendamment de son relationnel, a réussi avec Charles Mensah à convaincre les pouvoirs publics gabonais sur le fait que le cinéma participe pleinement à l’économie du pays et qu’à ce titre, il doit bénéficier aussi de certaines exonérations qui nous ont aidé à baisser le coût de la facture.

Le film est sorti en 2011 au Gabon, comment a-t-il circulé depuis ?
En dehors de sa sortie au Gabon, pour le moment, c’est un film qui ne va que dans les festivals parce que le producteur a un agenda qui ne peut pas se décliner avant décembre 2013. Il y a fort à parier que réellement, sur le plan international, ce film va sortir en 2014 mais ce sont les producteurs qui gèrent cet agenda.

Ne craignez-vous pas qu’en 2014, le film ait perdu l’engouement qu’il a suscité au moment de sa sortie au Gabon?
C’est possible mais vous savez, à partir du moment où on parle de distribution, c’est un problème de la production sur lequel je ne peux pas vraiment intervenir. Mais nous pensons que le film sera en Dvd, il sortira certainement aussi en salles à l’étranger.

Etes-vous satisfait du parcours du film jusqu’ici ?
Je ne suis pas particulièrement déçu, c’est un film qui trouve sa place dans les festivals par son genre mais ce n’est pas un film de festival, c’est un film de public. Je ne crois pas que ce film aille au-delà de ce qu’il a déjà fait dans les festivals. D’autant plus que quand vous ne connaissez pas son contexte historique, vous ne percevez pas tout le fond du film et ne voyez que l’aspect aventure. Mais quand vous maîtrisez le contexte, vous avez une autre vision. Ce n’est pas Indiana Jones (puisque beaucoup de personnes veulent se référer à ce film), c’est autre chose.

C’est au film de planter justement le contexte historique pour permettre au public de comprendre…
Non, c’est une question de culture. La culture est prépondérante à tout jugement. Quand vous connaissez le contexte des civilisations bantoues et pygmées, le rapport entre toutes ces communautés, l’histoire telle qu’elle a été écrite par le colonisateur, vous percevez derrière la comédie autre chose et vous vous rendez-compte qu’il y a un autre discours qui tend à balayer les idées reçues.

Essayez-vous par là de justifier le fait que ce film n’ait pas obtenu des prix de premier plan à des festivals où il a été ?
Non parce que pour tout vous dire, j’aime le cinéma avant tout. Si j’étais un chasseur de prix, je me conformerais au genre attendu. Honnêtement, je fais les films que j’aimerais, entre autres, voir et qui sont au service de ma communauté, sinon du plus grand nombre parce qu’ils contribuent un tant soit peu à leur procurer aussi bien un instant de dépaysement que de réflexion sur leur quotidien.

Pour l’instant, je pense que notre cinéma doit être au service du développement de nos Etats, donc efficace quant au message qui est transmis au spectateur. Je peux vous dire sans trop réfléchir que parmi mes films de chevet, je ne vous citerais pas plus de trois qui ont été des palmes d’or ou quoi que ce soit. Ce qui est par contre incontournable, c’est que nous avons besoin d’être présent dans les festivals pour faire connaître nos productions.

Etes-vous confiant en l’avenir de votre film ?
Forcément. Nous avons des demandes en télé mais que nous ne pouvons pas les satisfaire pour le moment parce que tout cela est lié à l’agenda du producteur. D’ici décembre 2013, nous allons étudier tous ces détails.
Propos recueillis par Stéphanie Dongmo à Franceville 

Les prix remportés par « Le collier du makoko »
-          Prix spécial du jury et prix de l’interprétation masculine pour le jeune Yonas Perou au festival de Khouribga 2012 au Maroc
-          Prix d’interprétation pour Yonas Perou au festival Ecrans noirs 2012 au Cameroun
-          Prix de meilleure bande sonore et de la meilleure affiche au Fespaco 2013

-          Prix du public au festival du film de Masuku 2013 au Gabon. 

lundi 7 octobre 2013

Nadine Otsobogo : « Le cinéma peut être proche du public »

Réalisatrice et chef maquilleuse, elle a créé le Festival du film de Masuku dont elle est la déléguée générale, à Franceville au Gabon. La première édition s’est déroulée du 15 au 17 août sous le thème « Nature et environnement » et le parrainage de Ali El Haïda, ministre sénégalais de l’Environnement. Nadine Otsobogo fait le bilan de l’édition passé et parle des enjeux et de l’avenir de ce festival.

Nadine Otsobogo
Qu’est-ce qui vous a motivé à créer un festival de cinéma?
J’ai toujours voulu partager le cinéma. J’en ai eu l’idée dès que j’ai tourné le film « Dialemi » en juin 2012. Il y a eu quatre jours de tournage et le cinquième jour, on s’amusait. L’équipe était tellement contente, et moi aussi, de donner, de partager que je me suis dit que ce serait bien un évènement où on peut se retrouver et s’éclater par rapport au cinéma. En janvier 2013, l’idée est revenue. J’ai appelée Lise Bessacque et Estelle Akoumigui qui sont des amies d’enfance, elles m’ont dit ok. Lise est organisatrice d’évènements et Estelle travaille dans le tourisme. On a commencé à élaborer le projet pour déjà créer l’association Festival Masuku. L’impulsion a aussi été le prix au Fespaco [Dialemi a reçu le poulain de bronze en mars 2013], ça a confirmé que je devais absolument faire quelque chose au Gabon. Lorsqu’on a eu le récépissé de l’association en juin, on a commencé à relancer les sponsors. Ensuite, on a associé Yvan Ayo Barry au festival. Yvan est forestier et un grand cinéphile. J’avais besoin d’un regard expert sur l’environnement. Je voulais cette thématique-là [nature et environnement], une thématique forte qui était dans mes films à moi et dans ce qui représente aussi mon pays, le Gabon vu d’en haut. Ensuite, il y a eu Loriane Nabibiga qui s’occupe des bénévoles et du secrétariat.

Pourquoi ne pas avoir cherché les membres de votre équipe dans le milieu du cinéma ?
Tous les cinéastes du Gabon ont déjà essayé de monter des choses. Ils ne m’ont pas associés à ces choses-là, et ces choses-là n’ont pas marché. Et puis, les cinéastes pour moi ne sont pas disponibles. J’avais envie de travailler avec des cinéphiles, d’être avec des personnes d’abord qui me sont proches et qui peuvent parler du cinéma par rapport à leur ressenti, avec un regard neuf. Il vaut mieux être avec des personnes qu’on connaît, avec lesquelles on a les mêmes objectifs. Pour l’association, je voulais un maillon fort, une équipe qui soit dans l’organisation, dans le tourisme et dans l’accueil. Le cinéaste n’a pas ces options-là.

Loriane Nabibiga pose devant l'affiche du festival. 
Quelle a été la plus-value de ce regard neuf dans l’organisation?
La plupart des membres de l’équipe connaissait la région. Moi, je l’avais déjà visité pendant le tournage du « Collier du Makoko ».

Pour cette 1ère édition, il n’y a pas eu d’appel à films. Comment avez-vous réglé la question des films qui est essentielle?
Ce qui était très important par rapport aux films c’était de travailler avec le Cinéma numérique ambulant (CNA) pour cette 1ère édition. Il n’y avait pas à chercher des films dans le monde entier, ils avaient un catalogue où on a choisi des films sur la nature et l’environnement…

En priorité des films gabonais. N’est-ce pas du nombrilisme ?
 On s’est dit qu’on va d’abord montrer aux Gabonais ce qui a été fait au Gabon, les intéresser et leur dire qu’il y a un cinéma qui existe ici. Ils n’ont pas vu « Gozambolowi », « Dialemi » et « Le silence de la forêt » qui est aussi gabonais. Il fallait leur dire que nous avons un cinéma. Et puis, la région de Franceville a une histoire avec le cinéma. Il y a un classique du cinéma gabonais, « Obali », réalisé par Charles Mensah et Pierre-Marie Dong mais produit par Patience Dabany qui s’appelait Joséphine Bongo à l’époque, qui a été tourné ici dans la province du Haut-Ogooué. Tous les Gabonais connaissent les dialogues de ce film. Sans faire du nombrilisme, apprécions d’abord ce que nous avons dans notre pays et puis nous irons vers les autres.

Mais pourquoi le Cinéma numérique ambulant ?
D’abord parce que c’est la seule structure qui existe en Afrique centrale, à mon avis. Pour cette édition, il fallait absolument que je m’entoure de personnes qui étaient structurés. Ce n’était pas possible que je prenne un écran pour aller me balader en ville, ou que je construise d’abord une salle de cinéma. On peut montrer aux gens que le cinéma se projette dans les salles mais est aussi proche du public. Et cette structure-là me plaisait, me parlait et m’interpellait. Le but aussi c’est du mutualiser les efforts et le Cinéma numérique ambulant avait un catalogue avec des droits, ils étaient tous des experts  surtout que dans notre équipe, il n’y avait pas de cinéaste. On voulait quelque chose de proche. Ce que nous défendons c’est la culture pour tous et le Cinéma numérique ambulant était déjà dans cette ligne-là.

Une projection en plein air du CNA
Est-ce la raison pour laquelle le seul prix de ce festival a été le prix du public, décerné du reste au « Collier du makoko » de Henri Joseph Koumba Bididi ?
On avait en vue de se demander qu’est-ce que le public aime. Et s’il aime, est-ce qu’il a envie de donner un prix ? On va essayer de demander au chauffeur, à la vendeuse quels films ils ont aimé sans que nous intervenions dans leur choix.

Le public a été très timide, à peine 50 personnes à chaque projection. L’organisation de ce festival n’a-t-il pas été un peu précipité ?
Le mot n’est pas précipité. A un moment, on se demande : on attend quoi, le feu vert doit venir de qui ? Nous, on s’est dit : c’est maintenant, on va lancer le festival et après, on va faire un bilan et en tirer les conséquences. Et puis, le public africain, gabonais ou d’ailleurs, est toujours timide au départ. Ce qu’on amène c’est nouveau. On savait qu’on n’allait pas avoir 600 personnes mais on a voulu faire une édition test, savoir si ça intéresse les gens de voir des films en plein air. Les gens venaient timidement et posaient des questions. Et c’était notre but : amener les gens à se poser les questions sur la culture et le cinéma, sur la nature et la biodiversité. Et puis, l’accueil du maire de Franceville nous a rassurés.

Mais pourquoi Franceville précisément ?
Franceville fait partie des trois grandes villes du Gabon. Pour moi, Libreville est saturé, tout se passe là-bas. Et du coup, les Librevillois ont tendance à croire que c’est le nombril du Gabon et que les autres sont des villageois. A Franceville, il y a un aéroport international et pendant la Coupe d’Afrique des Nations, on a pu construire des hôtels. Donc, la ville a une capacité d’accueil qui m’interpellait. Et puis, Franceville aussi parce que il y a un parc national, pas mal de sites qui rentraient dans le cahier de charges du festival. Et le challenge c’était d’amener les Gabonais à sortir de Libreville pour visiter leur pays. Par rapport à notre thématique, on voulait commencer le festival par Franceville par rapport à « Obali ». Maintenant, les autres années, peut-être qu’on ira vers d’autres villes, Port-Gentil ou autre.

Est-ce que vous envisagez que le festival soit itinérant ?
On l’a envisagé, peut-être à partir de la 5ème édition. Il faut déjà donner un rdv aux gens à Franceville. Et dès qu’ils s’habituent à ça, on pourra aller à Oyem ou à Makokou. On veut créer une symbiose, amener les gouvernants à comprendre qu’il y a encore un public pour le cinéma, à envisager de réhabiliter la salle de cinéma qui a été fermée. Il y a aussi cet acte politique de se dire que si le cinéma peut être vu à l’extérieur, à la belle étoile, c’est quand même pas mal quand c’est dans une salle. On dit trop facilement que les Africains n’aiment pas leurs films. Mais si les films africains ne viennent pas à eux, ils vont continuer à acheter les Dvd de films d’ailleurs parce qu’ils demandent ça.

Justement, plusieurs spectateurs ont demandé à avoir des Dvd des films diffusés. Comment est-ce qu’un festival comme celui-ci, qui créé le besoin chez le public, peut-il contribuer à ce que les gens aient accès aux films africains même après le festival?
Il est prévu que pour les éditions prochaines, on fasse des ventes de Dvd et donc, un marché du cinéma. Le but c’est de faire un festival avec un petit marché à côté pour vendre des Dvd de films qu’on aura projeté, et aussi un petit coin rencontre avec les producteurs, les réalisateurs et les distributeurs. Il y a une demande de gens qui veulent acheter les films pour les regarder chez eux avec leurs familles. Mais il fallait d’abord savoir si ça les intéressent. Cette édition a permis de se dire que ça peut se faire. Puisqu’il y a une demande, il faudra créer le marché, en synergie avec les producteurs et les distributeurs. Il faut aussi avoir dans l’équipe quelqu’un qui est dans le commerce et qui pourra gérer cela.

Qu’est-ce que ce festival apporte de plus dans le paysage cinématographique gabonais ?
Il n’y a qu’un seul festival de cinéma au Gabon, ce sont les Escales documentaires à Libreville. Dans un pays, on ne peut pas se dire des cinéastes et n’avoir que du documentaire à proposer. On veut aussi proposer de la fiction, du rêve, un regard neuf sur les acteurs qui travaillent. Ce que le documentaire ne fait pas puisqu’il nous raconte une histoire avec des archives. Pour le moment, le festival du film de Masuku c’est le seul festival au Gabon où il y a de la fiction, du documentaire et du dessin animé.

Quelles ont été les limites de cette édition ?
Au-delà de l’argent, le nerf de la guerre, on aurait voulu faire au moins trois projections par jour. Et pour cette édition, on a projeté deux films par jour, un court et un long métrage. Cela  m’a beaucoup attristé, je voulais vraiment que les gens puissent avoir le choix. C’était un seul rdv, un seul lieu alors qu’au début, on avait prévu trois lieux.

A quand la prochaine édition ?
On avait pensé à organiser ce festival tous les deux ans mais on nous a dit qu’il fallait que ce soit annuel pour fidéliser le public. On réfléchit à ça en sachant que moi, je suis cinéaste et j’ai envie de continuer à travailler, à faire des films ou des maquillages et qu’il faudra passer le relais  On se fait un bilan entre septembre et décembre et on  le saura.

Organiser un festival annuel peut être très prenant. Ne craignez-vous pas que cela vous éloigne d’une carrière de cinéaste ?
Non parce que pour moi, tout est lié. De faire du maquillage, du cinéma et d’organiser un festival aujourd’hui, tout est lié. Je veux que mon film soit vu à un festival et s’il n’y en a pas, je fais quoi ? J’ai envie d’une vitrine pour montrer les films que je fais et que d’autres ont fait. Il n’y a pas de vitrine. On peut attendre que les politiques fassent ça. Mais on peut aussi commencer à le faire. Je plante la graine. Après, les autres vont l’arroser et cueillir les fruits. Si je ne le fais pas, qui le fera ? On a l’impression à chaque fois que je fais beaucoup de choses, mais j’ai juste envie qu’on dise : elle fait des choses. Je suis déléguée générale du festival. Mon ambition à moi était d’impulser. Après, quelqu’un d’autre pourra diriger ça et je resterai la personne qui vient montrer ses films.

Projection pour enfants
Pour la prochaine édition, qu’est-ce que vous allez maintenir et qu’est-ce qui va changer ?
On va avoir plus de salles, des accords fermes avec des salles. On aura un lieu unique, on fera  en sorte que les entreprises de la ville s’impliquent en mettant à la disposition du festival des bus qui vont permettre de transporter les gens car Franceville est une ville éclatée. Deuxièmement, on va matraquer la communication. Il y aura un appel à films, des réalisateurs qui viendront parler de leurs films, des techniciens qui parleront de leur métier. Pour cette édition on a eu Henri Joseph Koumba Bididi. Mais à la prochaine édition, il faudra faire venir des formateurs, des producteurs, ce sont des choses qu’on voudrait améliorer.

Propos recueillis par Stéphanie Dongmo à Franceville