mercredi 26 novembre 2014

Enquête : Le cinéma tchadien, une nouvelle vague ?

Plusieurs dizaines de jeunes, plus vidéastes que cinéastes et plus amateurs que professionnels, filment sans formation et produisent des œuvres saluées localement mais très peu connues à l’étranger. Les difficultés sont prononcées, les professionnels désarmés, l’Etat essaie d’y trouver des solutions. L’espoir est permis.

N'Djaména, Place de la Nation
Vu de l’étranger, le cinéma tchadien est porté par deux figures majeures : Mahamat Saleh Haroun, icône mondiale du cinéma africain et Issa Serge Coelo qui, en plus d’être cinéaste,  dirige l’unique salle du pays. Certains se souviennent encore d’Edouard Sailly, premier cinéaste tchadien dont le film Le troisième jour (1966, 15mn, 35mm, noir/blanc) a été primé au Festival africain et malgache de Saint-Cast, en 1966. Vu de plus près, il existe plusieurs dizaines de réalisateurs qui se lancent dans le cinéma, avec des moyens du bord. Mal connu et peu vendu à l’étranger, le cinéma tchadien cherche encore ses marques.
En avril 2014, Mariam (87’, 2012, Tchad), long-métrage réalisé par Moussa Tidjani et Oumar Moussa Abakar, a reçu le premier prix du Festival international du cinéma indépendant de Bafoussam (Ficib) au Cameroun, malgré d’importantes faiblesses techniques et esthétiques. Cette distinction, somme toute modeste, a fait la Une des médias tchadiens et suscité l’engouement général des plus hautes autorités du pays.
La mobilisation qui s’est spontanément faite autour de ce prix témoigne de l’intérêt que porte aujourd’hui le pays tout entier au cinéma. Depuis 2006 que Daratt  de Mahamat Saleh Haroun a reçu le Prix spécial du jury à la Mostra de Venise, le 7ème art est un vecteur de visibilité pour le Tchad. Il a contribué à faire oublier l’image de pays de guerre que le Tchad trimbale depuis la chute de François Tombalbaye, son premier président au début des années 70. Une image qui s’éclairci un peu plus à chaque distinction. Le Prix du jury consacré à Un homme qui crie du même réalisateur, en 2010 au festival de Cannes, a été une consécration.
Cette distinction a non seulement amené l’Etat à s’intéresser au cinéma, mais elle a aussi été un puissant coup de fouet pour beaucoup de Tchadiens qui se sont alors lancés dans le cinéma indépendant comme on se jette à l’eau. Avec pour seul bagage leur envie de filmer et l’espoir, avoué ou non, d’être un jour célébré à leur tour. Chacun de ces jeunes loups aux dents longues porte plusieurs casquettes : scénariste, acteur, réalisateur, cadreur, monteur, etc.  Des projets, ils en ont plein la tête et cherchent frénétiquement des moyens de les réaliser. Leurs productions ne bénéficient pas d’une audience à l’échelle internationale mais au niveau local, la Télévision nationale leur ouvre une tribune pour véhiculer leurs productions
Qui est cinéaste et qui ne l’est pas ?

Cyril Danina
Avec 15 ans de carrière derrière lui, Cyril Danina, formé en réalisation à la Fémis de Paris en 1999 et par ailleurs Secrétaire général Afrique centrale de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci), fait office de pont entre cette nouvelle génération et les aînés que sont Mahamat Saleh Haroun et Issa Serge Coelo. Deux cinéastes qu’il a d’ailleurs accompagnés comme assistant-réalisateur respectivement sur Abouna (2002, 84’) et N’Djaména city (2008, 90’).
Il est amer : « Etre cinéaste au Tchad, ce n’est même plus un métier, ça ne veut rien dire car tout le monde l’est. Les jeunes se lèvent un matin, ils écrivent une histoire, la réalise aussitôt et ils se disent cinéastes. Nous autres qui nous disons réalisateur, qui vivons de cela, sommes en train de lutter pour qu’il y ait une distinction des métiers. Le cinéma a ses exigences et il faut les respecter ».
S’ils ont le mérite d’exister, les films de cette nouvelle génération, en général des vidéos, souffrent d’énormes faiblesses techniques et esthétiques : tournage sans scénario, décors pauvres, jeu théâtral des acteurs, séquences trop longues, intrigue plate ou inexistante, mise en scène sans relief, qualité d’image et de son médiocre, etc. Beaucoup de films sont tournés en arabe local et sortent avec un sous-titrage en français, catastrophique dans la plupart des cas à cause des fautes d’orthographe et de grammaire. Les genres sont parfois flous entre la série et les films en plusieurs parties.
Les sujets sont très souvent sociaux, tirant vers la sensibilisation sur plusieurs causes : la polygamie, le mariage forcé, la maltraitance des enfants, le tabagisme, les conflits agriculteurs-éleveurs, la protection de la faune et de la flore, etc. Les réalisateurs se lancent de bon cœur dans ces thématiques qui, s’ils plaisent aux Ong, sont en revanche peu cinématographiques.
Patrick Ndiltah, alors directeur du cinéma et du théâtre [il ne l’est plus depuis septembre 2014, Ndlr] au Ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, recommande de faire une nécessaire distinction entre cinéma, production télé et image animé : « Beaucoup des productions présentées comme telles ne méritent pas l’appellation de film ». La plupart des réalisateurs eux-mêmes se présentent comme des amateurs, dans l’attente du jour où ils deviendront professionnels. Comme c’est le cas dans la plupart des cinématographies nationales du continent, ici le financement reste le nerf de la guerre.  
 
La débrouillardise, le maître-mot
Le Ministère de la Culture du Tchad a créé, en 2011, le Fonds national d’appui aux artistes. Sa mission est d’appuyer financièrement les artistes dans la réalisation de leurs projets. Dirigé par Ahmed Bokori Nima, le Fonat est devenu opérationnel cette année. Il a ainsi octroyé, pour la première fois en mai 2014, une subvention de 30 millions Fcfa à 57 artistes toutes disciplines confondues, sur une base floue. Certains s’en sont tirés avec 1 millions Fcfa, d’autres avec 200 000Fcfa. Une assistance, alors que les professionnels réclament un accompagnement véritable.
Youssouf Djaoro
Les critiques n’ont pas attendu pour se faire entendre. « Ce fonds d’aide, tel que c’est parti, je n’en vois pas l’intérêt. Sur quels critères on a choisi les artistes, sur quel critère on leur partage l’argent ? Quand on vous donne 200 000Fcfa, quel projet vous pouvez réaliser avec ça ? On devrait mettre sur pied un comité qui sélectionne les projets. Nous les artistes, ne sommes pas des mendiants. On a juste besoin qu’on nous aide à réaliser nos projets», réagit l’acteur Youssouf Djaoro, au cinéma en ce moment dans le film Au film d’Ariane du Français Robert Guédiguian. Youssouf Djaoro est par ailleurs le premier rôle du film Thom de Tahirou Tasséré Ouédraogo, en tournage depuis début octobre à  Ouagadougou.
Par le passé, l’Etat tchadien a directement octroyé des financements à des productions. Grigris de Mahamat Saleh Haroun a par exemple été financé à hauteur de 400 millions Fcfa, et Crédit scolaire de Richardon Yonodjim Gattam (plus connu par son prénom) à hauteur de 4 millions Fcfa, pour une production évaluée à 16 millions Fcfa. Le Ministère de la Culture finance parfois les déplacements des réalisateurs dont les films sont retenus à des festivals en Afrique subsaharienne. En outre, la Télévision tchadienne offre des possibilités de financement. Elle achète des productions audiovisuelles locales et fait des co-productions avec des cinéastes indépendants.
Cyril Danina, qui co-dirige la boîte de production Top communication avec Youssouf Djaoro, reconnaît qu’au Tchad il y a beaucoup d’argent pour mener à bien des projets « mais comment avoir cet argent, là est toute la question ». Face à ce soutien étatique aux modalités et procédures floues se définissant à la tête du client, les réalisateurs-producteurs se tournent dans la débrouillardise et développent des solutions originales, parfois surprenantes.
Yasmine Abdallah
Richardon s’est lancé dans l’élevage et l’agriculture pour financer son film « Déboires de l’enfant adoptif en Afrique » (26’, 2011) : « A Bongor, j’ai cultivé 8 hectares et récolté 23 sacs de sorgho et 42 sacs de riz, le tout pour 800 000 francs. Total qui m’a donné 5 fûts de gasoil pour le tournage. J’ai loué le matériel à 750 000 francs, à raison de 250 000 franc la journée pendant trois jours. J’ai dû vendre une partie du carburant pour nourrir l’équipe sur le plateau », témoigne-t-il. Chanteuse, actrice et auteure de films (Diablesse en 2010, Cohabitation en 2013), Yasmine Abdallah, l’une des rares tchadiennes qui évoluent dans le cinéma depuis Zara Mahamat Yacoub dans les années 90, exploite, elle, l’argent gagné dans la musique. D’autres comme Moussa Tidjani ou Aboubacar Sow, auteur de la série Tv Gawal, économisent sur les salaires qu’ils gagnent dans leurs emplois alimentaires, pour financer leurs productions.
Pour sortir de la débrouillardise, Patrick Giraudo préconise : « la seule manière d’exister c’est de sortir du pays, de rentrer dans les réseaux internationaux, de se faire repérer et d’être légitimé. Après, les portes s’ouvrent,  l’argent arrive».
 
Le public suit
Pourtant, ces films à petits budgets, faits à la va-vite sans beaucoup d’exigence, plaisent au public tchadien. Les Dvd se vendent, le Cinéma le Normandie leur ouvre grand les portes. A charge pour l’équipe du film de communiquer pour faire venir les gens et en retour, elle reçoit 50% des recettes d’entrée. Ces productions arrivent quelque fois à remplir la salle de 440 places du Normandie, pour un coût d’entrée raisonnable (1000Fcfa, au lieu de 3000Fcfa pour les grosses productions). Le public, constitué en majorité d’amis, de parents et de connaissances arrive déjà conquis.

Cinéma le Normandie
D’après Issa Serge Coelo, directeur du cinéma le Normandie, « Les films tchadiens ont beaucoup de potentiel, ils ont une factuelle, des histoires un peu différentes et le public se reconnaît dans les histoires racontés et dans les acteurs». Cyril Danina « Age d’or » (16 épisodes, 13’, 2009reste relatif: « C’est étonnant d’entendre des gens te dire qu’ils ont trois longs métrages à leur actif. Chaque film constitue autour de lui son public formé de proches, d’amis. Du coup, on a l’impression que ça marche bien. Or, ces films ne peuvent pas faire des festivals car ils ne répondent pas aux normes du cinéma ».
Car les films de cette nouvelle génération s’exportent peu. Leurs faiblesses techniques et esthétiques, la langue et même les choix des sujets très locaux, constituent autant de barrières face auxquels beaucoup d’aspirants réalisateurs jettent l’éponge. De plus, en l’absence de relais médiatiques, leur travail passe presque inaperçu. Directeur de l’Institut français du Tchad (Ift), Patrick Giraudo affirme qu’il « y a très peu de critique sur tout ce qui est objet culturels. Il y a peu de journalistes culturels, ils rendent très peu compte des spectacles et leur regard reste factuel, de dire que tel film s’est déroulé à tel moment. Je n’ai pas lu de critique au sens propre, d’analyse esthétique ».
 
Une nouvelle vague ?
En 2012, à partir de l’exposition Grandes figures des cinémas d’Afrique produite par la cinémathèque Afrique à Paris, l’Ift a organisé une exposition présentant des portraits des acteurs du cinéma tchadien depuis les années d’indépendance, sous le titre : « Le cinéma tchadien, une nouvelle vague ? » Un clin d’œil au cinéma français. Patrick Giraudo explique qu’on en est encore loin, même s’il y a des personnalités qui se distinguent et qui font des films de grande qualité. « Ces personnalités, ou elles sont particulièrement géniales, sortent du lot et peuvent exister seule comme Mahamat Saleh Haroun, ou alors il y a une nécessité de construire des collectifs.  Il y a des choses qui ne sont pas anodines, de grands talents mais qui sont trop parcellaires et surtout, très mal identifiés par les Tchadiens», ajoute-t-il.

Patrick Ndiltah, le directeur du théâtre et du cinéma, soutient que « la politique cinématographique actuelle du Tchad est d’encourager les jeunes à aimer ce métier, l’Etat met des moyens à leur disposition pour la production, un effort est fait au niveau de la diffusion avec le cinéma Le Normandie. Notre direction essaie aussi de les accompagner en leur donnant des conseils et en faisant la promotion de leurs films. Les autorités tchadiennes ont pris conscience de l’importance du cinéma et le ministère de la Culture l’a inscrit le cinéma au cœur de son programme».
La première étape de cette prise de conscience a été la réouverture, en 2011, du cinéma le Normandie, après plus de 30 ans de fermeture. Une autre étape a été la création du Fonds national d’appui aux artistes (Fonat). La prochaine grande étape sera la création d’une école sous-régionale de cinéma, projet confiée à Mahamat Saleh Haroun par le président de la République, Idriss Deby Itno. Le projet pourrait bien prendre forme en 2015.

Abdoulaye Ngarduidima, Ministère tchadien de la Culture
Face à ces actions, Abdoulaye Ngarguidina, le Ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, est laudateur : «l’avenir du cinéma tchadien est radieux à la lumière des initiatives que nous voyons. Nos cinéastes sont plein d’initiative, ils ont du génie et je crois que le capital le plus précieux c’est l’homme. Or, nous avons des hommes dynamiques, entreprenants. Nous n’avons pas peur, notre cinéma va progresser. Gagner l’étalon de Yennenga au Fespaco, ce n’est qu’une question de temps ». 
Réunion entre les réalisateur et Patoudem
Malgré cet enthousiasme et cette bonne volonté affichée, beaucoup restent à faire. En séjour à N’Djaména en juillet 2014 pour le lancement officiel du magazine Excellence que dirige Gata Kitoko, le distributeur et exportateur camerounais Jean Roké Patoudem a eu une rencontre avec une vingtaine de jeunes professionnels du cinéma. A la suite de cette rencontre, il a reçu une dizaine d’œuvres qui souffrent tous de la production et de l’absence de financement.  « Produire un film de A à Z reste un secteur de formation qui n’est malheureusement pas enseigné en Afrique. Il y a un potentiel humain sur place qui manque cruellement d’encadrement», témoigne-t-il.

Mais il y a de l’espoir. Et cet espoir est palpable, d’après Jean Roké Patoudem, « dans la mesure où le gouvernement est entrain de moderniser son Office National de Télévision et que, bientôt, la TNT va arriver au Tchad et face à la demande des programmes, les Tchadiens vont se mettre au travail ». En attendant, le Tchad a accueilli, en octobre à N’Djaména, un premier festival de cinéma national, Toumaï Film festival. Une plate-forme créée par le réalisateur Pépian Toufdy pour promouvoir le cinéma tchadien et africain. De plus, un Cinéma Numérique Ambulant se met en place, sous la coordination du comédien et réalisateur Aboubakar Sow, pour amener le cinéma partout dans tout le pays.
De plus, fin septembre-début octobre 2014, une résidence d’écriture au film documentaire de création a été organisé à N’Djaména dans le cadre du programme Africadoc par l’Association des réalisateur tchadiens, en partenariat avec le ministère tchadien de la culture et l’Institut français à N’Djaména. Cette résidence, animée par Jean-François Hautin a rassemblé huit jeunes réalisateurs. Deux d’entre eux ont été sélectionnés à la fin, ils iront, début décembre aux Rencontres Tënk de Saint-Louis au Sénégal où ils pourront présenter leurs projets documentaires à des producteurs et diffuseurs européens.

Aboubakar Sow

A côté de ces projets, Issa Serge Coelo pose les préalables pour sortir la tête de l’eau : « Il faut commencer par la formation des réalisateurs, des distributeurs et des producteurs. Deuxièmement, il faut un fonds tripartite entre le ministère de la Culture, le ministère de la Communication et des sponsors privés qui puissent mettre de l’argent dans une caisse commune pour qu’on commence à faire des films. Deux ou trois salles de cinéma de plus à N’Djaména et en province et les choses vont commencer à démarrer ». Des ambitions sommes toutes modestes pour un cinéma précaire qui a appris à se contenter de peu.

Stéphanie Dongmo à N’Djaména

vendredi 19 septembre 2014

Découverte : Le "village artisanal" du Tchad perd son originalité

A Gaoui, les décors picturaux, réalisés exclusivement par les femmes sur les façades des maisons en début de saison sèche, disparaissent progressivement face à l’urbanisation. Heureusement, les poteries sont toujours là, le musée communautaire aussi.

A l'entrée du musée
Village Gaoui, dans le dixième arrondissement de N’Djaména, capitale du Tchad. Ici vit le peuple Kotoko, dignes descendants des Sao, présentés comme des hommes de grande taille à la civilisation riche.
Dès l’entrée du village, on peut apercevoir des montagnes de jarres en terre cuite. Plus loin, plusieurs femmes installées sur un terrain vague travaillent à fabriquer ces jarres qui devront servir à conserver l’eau potable dans les concessions. Les poteries de ce village sont vendues dans les grandes villes tchadiennes et au-delà. Elles ont la réputation d’être solides et de  conserver l’eau toujours fraîche, même quand il fait très chaud, par un phénomène naturel d'évaporation-condensation sur les parois poreuses du récipient.
Motifs géométriques
Un dessin artisanal sur un mur
Gaoui, surnommé « village artisanal », est composé de cours communes entourées par des murailles de terre et reliées par de longues et étroites ruelles. Les façades de certaines maisons sont ornées de décors picturaux aux motifs géométriques. Peintes par les femmes d’ici à base d’une peinture traditionnelle dont elles ont le secret, ces dessins empreints d’une grande poésie représentent des scènes de la vie courante.
« Avant, toutes les maisons de ce village portaient ces ornements, c’est ça qui attirait les touristes et faisaient la particularité de ce village. Maintenant, les gens mettent de la peinture  industrielle sur leurs maisons et les dessins disparaissent », se désole Allamine Kader,  réalisateur tchadien venu en pré-repérage dans le village pour un projet de film documentaire. Le cinéaste Mahamat Saleh Haroun avait déjà tourné une partie de son film « Daratt »  (1h36, 2006) à Gaoui.
Situé auparavant à une dizaine de km de N’Djaména, le village Gaoui est maintenant devenu un quartier du 10ème arrondissement de la capitale et se modernise. Les toitures de tôles remplacent progressivement les toitures de paille, les briques de terre font place aux  parpaings de sable et de ciment, tout comme les dessins sur les murs cèdent la place à la peinture industrielle.
Témoignage du passé
A l'intérieur du musée
Heureusement, le musée communautaire est là, qui attire encore l’attention des touristes. Les bâtiments construits en terre cuite, selon l’architecture kotoko, sont ceux de l’ancien sultanat transformé en musée en 1992. Dans la petite bibliothèque municipale, qui sert aussi de bureau au directeur du musée, des livres poussiéreux issus de dons divers attendent désespérément d’être lus.

La visite commence par la salle 1. Ici sont exposés des objets Sao, notamment des vases et des figurines humaines. La salle 2 permet de découvrir des outils de pêche Sao, notamment un piège à poisson et un harpon à bout pointu. La salle 3 fait la promotion de la poterie kotoko, réputée dans tout le Tchad pour être la meilleure. Dans la cour du musée, il y a le grenier de la grand-mère de l’actuel sultan et il faut se baisser pour y pénétrer. Une chambre à l’arrière abrite des trésors cachés, notamment une robe brodée à la main il y a 150 ans et portée par les princesses du sultanat.
Après cela, visite des chambres des trois épouses du sultan. Les deux dernières étaient logées au rez-de-chaussée tandis que la première avait l’honneur d’occuper l’étage. Ici, le plancher en bois menace de s’effondrer à chaque pas rapide. La dernière réfection du musée communautaire date de 2007, sur financement de l’Union européenne. Sur les murs de cette salle, des portraits des principautés kotoko. En bonne place figure un portrait du Mey actuel depuis 1995, sa Majesté Alhadji Hassana Abdoulaye.

Fouilles archéologiques
Des poteries kotoko dans le musée
Les objets que recèle le musée communautaire de Gaoui sont issus des fouilles archéologiques, qui ont mis au jour une riche civilisation matérielle Sao. Et depuis lors, interdiction pour les villageois de creuser même un puits sans une autorisation de la mairie, en raison des espoirs de trouver encore des témoignages du passé dans le sous-sol de ce village kotoko, qui s’est d’ailleurs construit sur un site archéologique. La conservation du Musée est assurée par un comité de gestion, sous l’égide du Musée national tchadien.

Aujourd’hui, le village est menacé par l’extension urbaine de la capitale, malgré une ceinture d’espace naturel imposé par les services d’urbanisme. Lancé en 2008 par le président Idriss Deby Itno, le projet de ceinture verte autour de N’Djaména, qui s’étend sur près de 800 hectares, a pour but de contrer l’avancée du désert. Mais pas l’avancée de l’urbanisation. Il est à craindre, à court terme, que le village Gaoui y perde son âme.
Stéphanie Dongmo au Tchad

lundi 15 septembre 2014

Dossier: le Festival du film de Masuku cherche ses marques

Editorial: Un défi à relever

Sur le continent africain, les festivals de films spécialisés sur l’environnement se comptent sur les doigts de la main. Les rares qui existent rencontrent d’énormes difficultés spécifiques qui ont contraint certains festivals à fermer leurs portes. Les films n’attirent pas les foules, les organismes d’aide aux productions filmiques les soutiennent peu, à cheval qu’ils sont entre l’environnement et le cinéma.
Pourtant, les enjeux environnementaux en Afrique sont énormes, du souillage du Delta du Niger en passant par l’assèchement à 80% du Lac Tchad. Les effets des changements climatiques n’ont pas de frontière et se font ressentir rudement : températures élevées cause de déforestation, rareté et mauvaise qualité de l’eau entraînant des maladies hydriques, insécurité alimentaire source de pauvreté, migrations provoquant des nuisances, etc.

La protection de la nature est une cause planétaire et nous concerne tous, appelés que nous sommes à devenir des éco-citoyens. Le cinéma est un excellent canal pour véhiculer ce message, martelé à l’occasion de festivals dont le but est d’inciter les populations à adopter les bonnes pratiques et leur permettre de s’adapter aux effets du dérèglement du climat. Ces rencontres sont aussi un appel aux cinéastes de prendre en compte les préoccupations environnementales dans leurs productions, sans forcément verser dans l’intervention sociale.
Le Festival du film de Masuku veut relever ce défi à partir de Franceville, ville située à près de 800 Km de la capitale gabonaise. Quoi de plus normal dans un pays recouvert à 75% par la forêt ? D’autant plus que la découverte, en 2008, de fossiles prouvant l’existence d’organismes multicellulaires il y a 2,1 milliards d’années à Franceville, fait du Gabon le berceau de la vie sur terre. Le Festival du film de Masuku, dont la seconde édition s’est tenue du 13 au 17 août 2014 à Franceville, est donc un défi pour le Gabon et, partant, pour l’Afrique centrale.

Notre travail est d’attirer l’attention sur de telles initiatives, porteuses de sens et de vie pour nous et pour les générations à venir. Nous espérons contribuer ainsi à poser les bases d’un développement humain durable.
 

Masuku cherche ses marques  

La seconde édition de l’évènement spécialisé sur la nature et l’environnement s’est déroulée du 13 au 17 août 2014 à Franceville, à près de 800 km de Libreville, la capitale gabonaise. Malgré une programmation riche, le festival cherche encore son public et doit convaincre les cinéastes gabonais.
 
Projection à Franceville

La carte blanche consacrée à Jean-Claude Cheyssial annonçait déjà la couleur de cette seconde édition du Festival du film de Masuku, nature et environnement. Cinq documentaires du réalisateur français ont été programmés hors compétition. Des films qui amènent le spectateur au cœur d’une forêt gabonaise luxuriante pour lui faire découvrir ses traditions, mythes et spiritualité.

Cette année, la programmation a été plus diversifiée et ouverte à l’international. C’est le film Siggil, un court métrage fiction du Français Rémi Mazet (20mn, 2010) qui remporte l’unique distinction du festival, le Prix du public. Autre film remarqué, A la recherche des origines ? 2 milliards d’années d’histoire (44mn, 2013) d’Abdelkader El Albani. Un documentaire qui retrace la découverte, près de Franceville, de fossiles en excellent état qui prouvent l’existence d’organismes pluricellulaires il y a 2,1 milliards d’années. Jusque-là, on supposait que la vie multicellulaire était apparue sur la terre il y a seulement 600 millions d’années. A l’ouverture du festival le 13 août, un hommage a été rendu à Bakary Diallo, dont le film Dankumba (12mn, 2001) était en compétition officielle. Le réalisateur malien est décédé dans le crash d’Air Algérie le 24 juillet dernier, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.
Concurrence
Cependant, les 18 films annoncés dans le programme n’ont pas été tous diffusés. Nadine Otsobogo, la déléguée générale du festival par ailleurs réalisatrice et chef maquilleuse, l’explique par la présence d’autres écrans dans la ville : « Cette année à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. C’était assez compliqué à gérer ».
En effet, dans le cadre de la caravane « Beaufort cinéma plein air », la Société des Brasseries du Gabon (Sobraga) organise une tournée nationale de projections du 28 juillet au 13 septembre 2014, à raison de trois soirées par ville. A Franceville, la caravane a coïncidé avec le festival Masuku. Les deux évènements ont pour partenaire l’Institut gabonais de l’image et du son (Igis).
Nadine Otsobogo est quelque peu amère : « C’est bien qu’il puisse y avoir plusieurs festivals ou caravanes au Gabon mais c’est dommage que dans une ville comme Franceville, il y ait plusieurs écrans pendant la même période. Nous ne sommes pas en concurrence. Notre but est que le public puisse aimer le cinéma et qu’à la longue, on ouvre des salles. Nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents », regrette-t-elle.
D’autant plus que la caravane de la Sobraga a installé, en plein cœur de Potos, quartier le plus chaud de la ville, un écran géant de 10x7m et diffusé des films gabonais (des classiques et des productions récentes). Faisant du coup passer le festival, avec son écran de 4x3m et ses films pas toujours grand public, au second rang. Le festival de Masuku s’en ai tiré avec à peine une trentaine de spectateurs à chaque projection, en dehors de la soirée d’ouverture.

Directeur de l’Igis, Imunga Ivanga précise que si l’institut est partenaire des deux évènements, il n’en est pas l’initiateur : « nous n'avons donc aucune influence sur les dates choisies par les deux structures. Le Festival du Film de Masuku est construit autour d'une thématique bien précise : la question de la nature et l'environnement. Cela se veut très ciblé. L'opération de la société Sobraga vise, elle, à un divertissement total. Cela laisse donc le choix au public».

Annulations
François Onana
La rareté du public accentuée par le fait que le programme des projections s’élaborait au jour le jour, ce qui ne permet pas de fidéliser le public. Par ailleurs, sur ses affiches, le festival annonçait d’autres activités : des conférences, des ateliers de formation et un marché du film. Un seul atelier s’est tenu, animé par François Onana, scénariste et réalisateur gabonais. L’année dernière, au cours de la première édition du festival, les spectateurs s’était montré intéressé à acquérir des copies des films pour les partager avec leurs familles. Le marché du film devait essentiellement être consacré à productions gabonaises sorties en Dvd. Il n’a pas eu lieu.

Cette seconde édition du festival du film de Masuku avait pour marraine Danny Sarazin, directrice du Festival international du film animalier et sur l’environnement qu’elle organise depuis 1996 à Rabat au Maroc. Deux évènements qui ont pour but de sensibiliser, à travers l’image, le grand public sur la préservation de la faune et de la flore. Imunga Ivanga est cependant optimiste : « le festival est jeune et il va grandir d'années en années. Il en a le potentiel. Et ses initiateurs ont la volonté et du talent. Le succès suivra naturellement. C'est un travail de longue haleine. C'est toujours un combat de rallier le public mais un festival s'apprécie également sur d'autres aspects ».
 

Nadine Otsobogo

« Le public est timide à la thématique de l’environnement »

Déléguée générale du Festival du film de Masuku, elle fait le bilan de cette 2ème édition et annonce les couleurs de la prochaine.

 


Quel bilan faites-vous de cette 2ème édition du Festival du film de Masuku ?
Le bilan est assez positif car à la 1re édition, on n’avait pas eu autant de film ni autant d’engouement. Notre parrain de l’année dernière [Le ministre sénégalais de l’Environnement, Ndlr] n'avait pas pu se déplacer. Cette année, nous avons eu une marraine qui était là. Elle a apprécié les films et l’initiative. Des bénévoles ont fait le déplacement depuis Libreville pour nous soutenir. Il y a des choses à améliorer évidemment, mais c’est positif, sincèrement, dans l’ensemble. Je dis un grand bravo à tout le comité d'organisation de ce festival.

Certains invités, annoncés au départ, ne sont pas arrivés. Le marché du film annoncé a été annulé. Que s’est-t-il passé ?
On n’avait pas tenu compte de l’administration tout simplement. Certaines personnes n’ont pas eu le temps pour les visas, les délais étant justes. C’est le cas du tunisien Habib Ayeb qui s’est désisté tout en nous encourageant. A la première édition, il n’y avait pas d’invités internationaux. C’était donc la première fois qu’on était confronté à ça. Par ailleurs, on s’est rendu compte que c’était un peu tôt pour le marché du film, on l’avait annoncé pour les réalisateurs gabonais d’abord et ils se sont désistés au dernier moment, alors qu’ils avaient donné leur accord de principe.

Que comptez-vous faire justement pour conquérir la confiance des professionnels du cinéma gabonais qui semblent bouder ce festival ?

Bouder c'est un grand mot! Pour l'instant, je crois qu'ils ne s'y retrouvent pas. On se méfie en général de ce qui est nouveau, et nous n'avons pas à conquérir ces personnes. Le but de notre association est la culture pour tous. Et l'environnement, c'est l'affaire de tous. On a eu beaucoup moins de partenaires que l’année dernière. Cette année aussi à Franceville, au mois d'août, il y a eu au moins trois projections organisées par d’autres structures, ce qui n’était pas du tout prévu pour nous. Nous ne sommes pas en concurrence, nous encourageons les gens à s’unir pour proposer le meilleur de la culture gabonaise et internationale puisqu’on a le même but, et non pas se disperser à mettre plusieurs festivals, plusieurs écrans dans le même pays, la même ville pendant la même période. Il faut qu’on puisse être cohérents.
Le public est resté timide, comment entendez-vous l’intéresser pour les prochaines éditions ?
Le public est plutôt timide à la thématique de l'environnement, je pense. Mais vous avez remarqué quand nous avons projeté les films de Jean-Claude Cheyssial, le public était assez intéressé, certainement parce que c'est filmé au Gabon. Donc, nous allons revoir notre programmation et, avec les conseils de Danny Sarazin, notre marraine, multiplier les initiatives sur l'environnement tout au long de l'année.

Y a-t-il des difficiles particulières à l’organisation d’un festival à thème ?
Certainement. Déjà organiser un festival n'est pas une petite affaire, mais en plus, avoir une thématique, c'est pas facile. C’est très dur, j’apprends juste que les gens ont parfois la langue bien pendue, ils promettent beaucoup et à la fin, rien du tout. Ce festival, c’est comme une petite niche mais l’environnement qui est notre quotidien. C’est beaucoup plus sain de parler de ce quotidien. Le Gabon, l’Afrique, le monde est un bel environnement que l'on doit protéger, et notre sensibilisation passe par l'image. On a l'impression que c'est restreint mais c'est vaste.

En deux ans, avez-vous le sentiment que vous avez contribué à faire prendre conscience de la nécessité de protéger l’environnement ?
Ça va prendre du temps mais je sais que petit à petit, les gens vont capter et comprendre. A un moment donné, ils vont se dire : on veut autre chose, un environnement sain, une ville propre, des forêts protégées. Je suis persuadée de ça.  

Que peut-on attendre déjà de ce festival l’année prochaine ?
Déjà, les réalisateurs qui n'ont pas pu se déplacer seront réinvités, les films qui n'ont pas pu être projetés seront reprogrammés. Ce festival est comme un bébé. L’année prochaine, il aura 3 ans, il pourra, on l'espère, se mettre debout et marcher.

Dossier réalisé par Stéphanie Dongmo

samedi 13 septembre 2014

Cinéma : Interroger le passé pour envisager le futur

Premier prix du documentaire au festival Ecrans noirs 2014, « Une feuille dans le vent » de Jean-Marie Teno présente la quête de vérité d’Ernestine Ouandié, mis en perspective avec l’histoire de l’indépendance du Cameroun.

 « Comment voulez-vous qu’une feuille détachée de sa tige puisse vivre ? Je suis comme une feuille, j’ai besoin de la branche pour vivre. Quand vous coupez la branche, la feuille se dessèchera, le vent la fera voler à gauche, à  droite, en haut, en bas et la feuille disparaîtra un jour ». Cette phrase d’Ernestine Ouandié résume bien toute son existence. En quelques mots, le personnage principal du film « Une feuille dans le vent » dit son mal-être et sa quête perpétuelle du père.
Née en 1961 au Nigéria, Ernestine est la fille d’Ernest Ouandié, le nationaliste camerounais qui prit la tête de l’Upc après l’assassinat de Ruben Um Nyobè en 1958 et de Félix Moumié en 1960. Dans ce documentaire de 55mn, elle se livre entièrement. Elle y raconte son enfance difficile et la découverte du pays de son père en 1987, après son enfance au Ghana. Elle dénonce surtout le voile de silence qui entoure l’histoire du Cameroun, qui, pour elle, se confond avec son histoire familiale.
Jusqu’ici, les circonstances de la reddition d’Ernest Ouandié, exécuté à Bafoussam en 1971, restent floues. Et aucune plaque commémorative ne fait honneur à ces martyrs, présentés à l’époque comme des maquisards. Ernestine veut la vérité, pour pouvoir à son tour la transmettre à ses enfants. Car pour se projeter dans le futur, il faut pouvoir regarder son passé. « C’est difficile de savoir qu’on doit mourir deux fois. La première fois, la vraie, est suffisamment difficile à accepter. La deuxième mort, qui est le silence, ne nous mènera nulle part. Quand l’histoire sera écrite, les âmes errantes trouveront enfin la paix », dit-elle.

Ernestine Ouandié
Un matin d’octobre 2009, Ernestine Ouandié s’en est allé rejoindre ces âmes errantes. A ce moment-là, Jean-Marie Teno, qui l’a interviewé en 2004, pose un regard neuf sur ses confessions. « J’ai été tellement touché par son histoire, je ne savais pas quelle forme allait prendre ce film à ce moment-là. Dans cette interview, pendant un long moment, elle me parle de la métaphore de la feuille mais je ne comprenais pas. C’est quand elle est décédée que je me suis rendu compte que ça faisait sens. J’ai trouvé en elle une profondeur qui m’a fait penser que sa parole devra être portée», explique celui qui a écrit, réalisé et produit « Une feuille dans le vent ».
Kwame Nkrumah, le premier président du Ghana, disait déjà que « les conséquences socio-psychologiques de la colonisation sont bien plus importantes que les conséquences politiques car elles pénètrent en profondeur l’esprit des gens et sont plus longues à éradiquer ». Jusqu’à sa mort, Ernestine Ouandé a porté ce fardeau dans un pays où l’histoire de l’indépendance a toujours été éludée. Face à la caméra, cette femme belle, que l’on sent désespérément seule dans sa quête, réclame la justice de la vérité. Sa pensée est construite avec méthode. Sa voix et son regard sont chargés d’émotion. On la sent au bord des larmes, mais elle ne craque pas.

Pour mettre son histoire en perspective, Jean-Marie recourt aux images d’archives pour raconter la lutte pour l’indépendance. Il dresse ainsi un parallèle entre la vie d’Ernestine et celle du « Camarade Emile », son père. Les illustrations de Kemo Sambé permettent de combler les vides de l’histoire, de sortir le spectateur du visage d’Ernestine pour lui donner du répit. Le film tourné en anglais et sous-titré en français, est dédié aux enfants d’Ernestine : Boris, Ernesto et Helen.
Stéphanie Dongmo

Cinéma : black and white

« Siggil », du Français Rémy Mazet, tourné au Sénégal, a remporté l’unique prix du Festival du film de Masuku en août 2014 à Franceville au Gabon, le Prix du public. Il interroge la place de l’homme dans son cadre de vie, mais aussi les rapports entre l’humain et l’animal.


Lamine est vieux. Ses cheveux tout blancs le disent à suffisance. Ce matin, Lamine (El Hadj Dieng) se prépare pour aller à son travail. Dans sa petite chambre, il soigne son apparence devant un bout de miroir. Après quoi, il quitte son quartier populaire et traverse la ville pour se rendre dans un quartier chic où une femme l’attend. Son impatience, son statut de patronne blanche et l’amour qu’elle porte à sa chienne se comprennent au son de sa voix.
Lamine repart dans les rues de Dakar. Cette fois, avec une chienne, Agathe, qu’il doit promener. Pleine de vie et respirant la bonne santé, Agathe est aussi blanche que les cheveux de Lamine. Il l’amène chez le vétérinaire, au supermarché... C’est son boulot et Lamine y met du cœur. La journée semble se dérouler dans le calme. Le drame se noue quand Lamine perd la chienne.
Sa quête va alors le promener dans les rues de Dakar, que la caméra balaie en plans larges : les rues proprettes, la belle plage, mais aussi les coins mal famés. Lamine finit par atterrir à la grande décharge de Mbeubeuss, où des gens vivent dans des conditions qui auraient tout à envier à la vie d’Agathe.

« Siggil » interroge l’urbanisme et la place de l’homme dans son cadre de vie. Mais aussi les rapports entre l’humain et l’animal. Le président sud-africain, Jacob Zuma, l’a dit en 2012 : le fait de posséder un chien, de lui faire sa promenade, de l’amener chez le vétérinaire n’est pas africain mais fait partie intégrante de la culture blanche. Les moqueries des personnes que Lamine croisent lorsqu’il promène la chienne le redisent.

La sortie de Jacob Zuma avait été vivement critiquée, obligeant la présidence sud-africaine à atténuer ces propos en soulignant la nécessité de ne pas mettre l’amour pour les animaux au-dessus de l’amour pour les hommes. Le porte-parole du gouvernement, Mac Maharaj, avait évoqué l’exemple de « Sud-Africains qui sont assis avec leurs chiens à l'avant de leur camionnette avec un ouvrier à l'arrière sous une pluie battante».
Au final dans ce court-métrage de 20mn, on a deux réalités : le riche et le pauvre, le blanc et le noir. Avec d’un côté l’hégémonie culturelle et la domination, et de l’autre, l’aliénation et l’esclavage. Avec juste ce qu’il faut de civilisé. 
S.D.

Fiche technique
Scénario- Réalisation : Rémi Mazet
Production : Sacrebleu Productions
Pays : France
Date : 2010

Cinéma : A la limite des mondes visible et invisible

« Dankumba » a été présenté en ouverture du Festival du film de Masuku le 13 août 2014 au Gabon, et un hommage rendu à son réalisateur. Le Malien Bakary Diallo est décédé dans le crash du vol d’Air Algérie le 24 juillet à l’âge de 31 ans, en compagnie de son confrère camerounais Lorenzo Mbiahou.

 


Un arbre centenaire. Un village traversé par une route poussiéreuse. Des pieds d’homme. L’eau qui crépite sur le sol. Le sable qui vole dans le vent. Le bruit du rasoir qui tond une tête. Les incantations d’une mère... Le tout est un savant agencement de scénettes, de gestes, de lieux et d’images. Des cartes postales empreintes de beaucoup de poésie. Mais aussi de mysticisme.

Le court-métrage retrace, en quelque sorte, la journée presque ordinaire d’un homme, un traditionnaliste, dans un village ordinaire d’Afrique. Ainsi que les infinis croisements de destins qui forment une vie. Ses gestes sont méthodiques, son pas cadencé. Dankumba désigne un rituel accompli dans la région de Kayes, au Mali. Bakary Diallo en a fait le titre de son avant-dernier film. Il pose la question du sacré et des superstitions, à la limite des mondes visible et invisible.

Une scène du film
Car ici, tout est signe et symbole. Des sacrifices posés au milieu de la route et qui effraient les petits mendiants aux cheveux enterrés dans le sol, en passant par le traditionnaliste qui, à son réveil, prend le soin de poser sur le sol d’abord le pied droit, et seulement ensuite le gauche. Ces gestes partent des croyances répandues dans toute l’Afrique subsaharienne selon lesquels se lever du pied gauche gâche la journée, et que les sorciers peuvent atteindre une personne à partir de ses cheveux.

Même les bruits familiers comme le chant de petits mendiants ou le caquètement d’une poule semblent prendre, ici, une signification particulière. D’autant plus que le montage lent, réalisé par Bakary Diallo lui-même, assisté de Fréderic Dupont, finit de jeter le spectateur dans une ambiance initiatique. Pour un peu, on croirait replonger dans le poème « Souffle » de Birago Diop : « Ecoute plus souvent / Les choses que les êtres / La voix du feu s’entend / Entend la voix de l’eau / Ecoute dans le vent / Le buisson en sanglot… »

Bakary Diallo
En 12mn, le film parle peu mais dit beaucoup. Dans la dernière scène, le traditionnaliste remet à l’endroit un pied de sandale retourné avant de continuer sa route. Comme pour remettre une Afrique tourmentée sur le droit chemin. Un chemin qui serait l’animisme ? « Dankumba » est sorti à la vielle de la crise au Mali, menacé par l’intégrisme religieux. Qui est encore le sort de bon nombre de pays africains.

Prix « Les amis du Fresnoy », Studio national des arts contemporains de Tourcoing en France en 2011, « Dankumba » prédisait à Bakary Diallo un brillant avenir cinématographique. Le destin en a décidé autrement.
Stéphanie Dongmo

Fiche technique
Scénario-Réalisation : Bakary Diallo
Production : Le Fresnoy
Pays : Mali
Année : 2011