mercredi 9 décembre 2015

Arts plastiques : la critique se met à l’école

Du 3 au 5 décembre 2015, la Cameroon Art Critics (Camac), association de journalistes culturels camerounais, a organisé un atelier de formation à la critique des arts plastiques, en partenariat avec l’Institut Goethe du Cameroun.

Des journalistes dans le hall de Bandjoun Station.
Le lieu choisi pour abriter cet atelier n’est pas anodin : le centre d’art contemporain Bandjoun Station, fondé en 2008 par le plasticien Barthélémy Toguo où l’exposition Stories Tellers a été prolongée jusqu’en mars 2016.

Une vue du centre d'art contemporain.
Treize personnes ont été sélectionnées pour participer à cet atelier. Ils sont journalistes, chroniqueurs ou médiateurs culturels. Ils sont venus de Douala et de Yaoundé, avec pour attente commune d’acquérir des bases théoriques et pratiques pour mieux appréhender une œuvre d’art, la décrypter, la critiquer et la restituer au public. Ils sont repartis de Bandjoun en étant plus sûrs d’eux-mêmes, ayant appris les techniques, les ficelles et les astuces du métier.

Visite des plantations de BS.

Ceci grâce à trois formateurs: Germain Loumpet, archéologue et muséologue a entretenu les participants à l’atelier sur la production, la diffusion et la consommation de l’art au Cameroun, à travers des éléments historiques, anthropologiques et politiques, les genres et les courants. Hervé Youmbi est un plasticien bien connu pour ses portraits au réalisme saisissant. Il s’est penché sur la pratique de l’art plastique au Cameroun. Par sa longue pratique du métier, le critique d’art Lionel Manga, commissaire d’exposition depuis peu, a été plus proche des participants. Avec eux, il a discuté des techniques de lecture d’une œuvre d’art, et d’écriture d’un article critique.

A côté de l’atelier proprement dit, la Camac a initié d’autres activités à l’intention des participants et animateurs de l’atelier. Il y a eu la visite des plantations de Bandjoun Station qui entend allier l’art et l’agriculture. Car le centre d’art contemporain développe un projet agricole dans des plantations où poussent du café, du maïs, des haricots, et même du moringa, cultivés de façon bio. Il y a eu enfin la visite de la Fondation Jean Félicien Gatcha, perchée sur les hauteurs du village Bangoulap.

Le Point de presse de Monsieur n'importe qui.
Il y a eu les rencontres professionnelles avec Barthélémy Toguo, l’hôte de l’atelier. Il a partagé avec les journalistes son enfance, ses études, son travail de plasticien et ses combats. Les participants ont eu l’occasion de regarder le film « Barthélémy Toguo : deux mains… le monde », documentaire de 52 min réalisé par Thierry Spitzer en 2014.  


Il y a eu la visite de l'espace culturel Tégang de la compagnie Feugham, à Bafoussam. Avec à la clé deux spectacles solos : « Point de presse de Monsieur N’importe qui » de Wakeu Fogaing dans la peau d’un dictateur qui répond à ses détracteurs, et « Je n’aime pas l’Afrique » de Louis Marie Noubissi Tchoupo, dit Armstrong, qui rend hommage à Paul Niger et critique la dérive sociale africaine.

Créée le 16 juillet 2015 à Yaoundé, la Camac a pour ambition de promouvoir l’excellence dans le journalisme culturel. Son président est Parfait Tabapsi, rédacteur-en-chef du mensuel culturel Mosaïques paraissant à Yaoundé.

Stéphanie Dongmo, à Bandjoun 

vendredi 16 octobre 2015

Raoul Djimeli : « J’appelle à penser la condition de l’enfant africain »

L’auteur parle de son recueil de poèmes intitulé En attendant les jours qui viennent, paru en 2014 chez Edilivre. Dans ce livre, il dit sa révolte d’une société en déliquescence où l’enfant, pourtant présenté comme le fer de lance de la Nation, est sacrifié.

Raoul Djimeli
Présentez-nous votre ouvrage en quelques mots ?
En attendant les jours qui viennent est un recueil de poèmes. Un ensemble de textes dits par une petite voix oubliée comme beaucoup d’autres, dans un contexte dominé par  la difficulté. Ces textes disent les malheurs des jours qui passent et présentent l’itinéraire rue-tombe qui quelques fois, devient l’essentiel de la vie de jeunes africains. Notre personnage est un enfant seul. À Yaoundé où il vit dans la rue, il n’y a que les immeubles et les églises des ventrus, les voitures et les mensonges des gouvernants qui remplissent ses yeux. Toute sa génération est abandonnée à elle-même… voici comment elle se bat, en attendant les jours qui viennent.

À quel lecteur s'adresse votre ouvrage ?
Ce livre est d’abord un cadeau à tous ceux qui aiment la poésie. Il s’adresse également à toute personne qui veut comprendre ce que pense  l’enfant africain de l’état de désintégration avancée dans lequel se trouvent les pays africains aujourd’hui, le Cameroun en particulier. Oui, le Cameroun surtout parce que vu de l’extérieur on peut se dire  - avec la violence qui nous étouffe- que tout va bien.
Quelles sont les principales qualités de votre livre ?
Chaque lecteur sait ce qu’il aime particulièrement dans un livre ou chez un auteur. J’aime par exemple l’humour acide d’Alain Mabanckou et de Patrice Nganang. Mon lecteur pourra apprécier, si nous avons les mêmes sensibilités, la force d’une écriture singulière, marquée par le souci de s’offrir pour cesser de souffrir. « S’offrir » dans toutes ses dimensions. Les poèmes semblent chuchoter et crier en même temps. Le lecteur saura aussi apprécier l’allégorie. L’enfant seul du texte, c’est le jeune citoyen africain sans réel État. Il parle aussi de ses parents qui ne sont que dans le brouillard de ses pensées, tout comme l’Histoire des Africains. Beaucoup d’autres charmes poétiques sont à découvrir.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers votre ouvrage ?
Je voudrais monter ce que deviennent  ceux qu’on dit être le fer de lance des Nations. Partager avec le public ce que cachent le soleil et les politiques d’Afrique. Parler de ces enfants que tout le monde voit, comme on voit le bitume sur l’asphalte et ainsi, j’appelle à penser la condition de l’enfant en Afrique. J’appelle à regarder un peu plus loin.

Pourquoi avoir choisi le genre poétique pour exprimer votre message ?
Je pense que commencer une œuvre de l’imagination est un peu comme un caillou qui vous tombe dessus. Si c’est sur votre âme de poète qu’il tombe alors vous écrivez votre douleur par le poème.

La rue et la révolte sont au cœur de votre ouvrage, pourquoi sont-ils des thèmes importants pour vous ?
Parce que la rue est au-devant de la difficulté. C’est là, qu’il convient de commencer. Appeler à la conscience, à la prise en compte des « rués ». La révolte parce qu’elle est capitale. Refuser d’étouffer !

Quels sont vos projets d'écriture pour l'avenir ?
J’ai des textes poétiques en ce moment que je travaille, et d’autres travaux que le public ne tardera pas à découvrir avec encore plus de plaisir.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Chers lecteurs, follow me, the best is still to come!

Interview réalisée par Edilivre

mercredi 14 octobre 2015

Musiques d’Afrique : des stratégies à inventer

La 8ème édition du Kolatier, marché des musiques d’Afrique, s’est déroulée à Yaoundé du 8 au 10 octobre. A côté des concerts, des ateliers et des rencontres professionnelles, il y a eu une table-ronde sur le thème les musiques d’Afrique au profit des acteurs et des Etats africains. C’était le 10 octobre dernier à l’hôtel Mont Fébé.
 
Les organisateurs du Kolatier

Quelles stratégies adopter pour que les musiques d’Afrique bénéficient réellement aux acteurs et aux Etats ? Telle est la question qui a réunis autour d’une table quatre hommes : Kladoumadje Nadjaldongar, directeur de la valorisation au Centre de recherche et de documentation sur les traditions et pour le développement des langues africaines (Cerdotola), Manassé Nguinambaye, directeur du festival de musiques DjamVi au Tchad, Thierno Ousmane Bâ, tourneur et producteur sénégalais installé en Belgique et Luc Yatchoukeu, promoteur du Kolatier et président du Conseil camerounais de la musique.

D’entrée de jeu, Kladoumadje Nadjaldongar a parlé des politiques culturelles des Etats africains. Il existe un florilège d’orientations culturelles promues par les organisations internationales, entre autres l’Unesco et l’Organisation internationale de la Francophonie : à l’exemple de la charte de Naïrobi sur les industries culturelles, la déclaration de Cotonou, la déclaration de Beïrut, etc. Beaucoup d’Etats ont ratifié ces textes, mais le problème se pose au niveau de leur mise en application effective.

Et on constate qu’entre une politique culturelle et son exécution, il y a de sérieux écarts. D’après lui, le problème vient parfois de ce que les modèles soumis aux Etats ne correspondent pas tout à fait à leurs visions. Il a ainsi recommandé de promouvoir des modèles endogènes de gestion de notre patrimoine culturel, en déterminant ce qui est bon à prendre et ce qui est bon à laisser dans la coopération internationale.

Pourtant, malgré ces écueils, la musique peut être un atout majeur dans le développement de certaines villes. Manasse Nguinambaye du Djamvi a expliqué les stratégies mises en place par son festival pour créer de la richesse autour de la musique à Ndjaména. Par exemple des stands au village du festival où des commerçants et micro-entrepreneurs réalisent de bons chiffres d’affaires, l’accompagnement des artistes à la production de leurs œuvres, etc.

Parlant de professionnalisation, Luc Yatchoukeu a souligné le déficit de formation des acteurs de la filière. Pour lui, la forme du produit comptant autant que son contenu, l’artiste doit se faire accompagner par des agents et attachés de presse. Ce à quoi Thierno Ousmane Bâ a ajouté que le talent ne suffit pas, il faut avoir derrière soi une équipe qui peut accompagner l’artiste. Car les plateformes importantes passent par des managers pour négocier des contrats et ne contactent pas directement l’artiste.

Alors que les artistes d’Afrique tournent essentiellement sur le continent, en Europe de l’Ouest et un peu aux Etats-Unis, Thierno Ousmane Bâ a parlé de nouveaux marchés pour les musiques d’Afrique, que représentent l’Asie, l’Europe de l’Est, l’Amérique latine, la Scandinavie… Mais pour se lancer dans ces espaces, cela nécessite que l’artiste ait acquis une certaine maturité et soit entouré de professionnels. Pour ce tourneur, l’artiste en Afrique doit se mettre à la page et, comme en Europe, devenir une société avec une comptabilité, une communication, etc. Les nouvelles technologies aussi sont apparues, changeant le mode de consommation de la musique, avec une distribution en ligne des contenus que les artistes d’Afrique ont tout intérêt à explorer.

 
Pour Kladoumadje Nadjaldongar, il faut que les organisations culturelles soient fortes pour pouvoir influencer les décisions des Etats. Luc Yatchoukeu ajoute qu’il faut créer des entreprises véritables qui puissent payer les impôts et alors, l’Etat va s’intéresser aux arts, et particulièrement à la musique. « Il faut s’organiser et montrer que nous sommes des acteurs du développement et que nous pouvons apporter quelque chose de concret, démontrer l’intérêt que les Etats ont à nous soutenir. Le gros problèmes est de travailler ensemble, de fédérer les énergies ».
En attendant que ce vœu pieu puisse se réaliser, le secteur musical continue à traîner ses maux.

Stéphanie Dongmo 

Roman : L’Afrique abrutie

Le Christ selon l’Afrique, le dernier roman de Calixthe Beyala, prend pour prétexte de l’histoire rocambolesque de Boréale, une jeune fille qui accepte de porter un enfant pour sa tante, pour parler des religions et des croyances en Afrique.

Calixthe Beyala
 Le Christ selon l’Afrique : tout un programme. Le corps de ce livre est une histoire puisée dans une vieille coutume béti, aujourd’hui en voie de disparition. Boréale, une jeune fille pauvre de 20 ans, boniche le jour et délurée la nuit, accepte de porter un enfant pour sa riche tante, M’am Dorota rattrapée par la ménopause. Fortement encouragée par toute sa famille, elle entretient des relations sexuelles avec son oncle et se retrouve enceinte. Mais, accident de parcours, Boréale devient une Agatha de plus de l’humanité adultère et se bat pour garder son enfant.

L’âme de ce livre est la religion. Ou plutôt, toutes les croyances que les Africains embrassent à bras le corps, du christianisme à l’égyptologie. Kassalafam, le quartier pauvre de Douala où vit Boréale, est le lieu d’observation par excellence de ce melting-pot religieux. Il y a des personnages comme l’apôtre Paul. Des tréfonds du chômage, il a un jour une illumination qui va le rendre riche. Il créé une église où il vend toute sorte de sacramentaux avec, cerise sur le gâteau, le droit de trousser les femmes pour leur transmettre le saint esprit. Il y a aussi Homotype. Amoureux infidèle de Boréale, il prône le retour à l’Egypte antique et convoque à volonté Amon Rê et Osiris, des dieux égyptiens qu’il fait passer avec du chanvre indien. Au centre de ces extrêmes, il y a des gens comme Boréale qui ne croient ni en Dieu, ni en diable.

L’esprit de ce livre est la misère ambiante dans cette société africaine contemporaine. Où les riches écrasent les pauvres, au propre comme au figuré ; où les politiciens véreux tiennent la chandelle face à une opposition en mal d’inspiration. Mais la misère ici n’est pas seulement économique, elle est surtout morale et même spirituelle. C’est cette misère qui amène une mère à mettre en location le ventre de sa fille pour porter l’enfant destiné à une autre. C’est aussi cette misère qui conduit les malades de Kassalafam vers l’église plutôt que vers l’hôpital. C’est encore cette misère qui pousse Ousmane, le collègue boy de Boréale, à séduire sa patronne blanche, vieille et esseulée. C’est enfin cette misère qui fait qu’au fin fond du quartier, une femme shooté au câble ferme les yeux sur ses malheurs pour s’intéresser à la crise de subprimes en occident.

Le roman de Calixthe Beyala donne de l’Afrique l’image d’une frivole incapable de dire non et qui se retrouve écartelée entre ses propres croyances, les religions importées et les nouvelles tendances spirituelles. Entre le catholicisme, les églises de réveil, l’égyptologie, la mondialisation de la pensée, la démocratie forcée, l’impérialisme occidental et une violence sourde, l’Afrique semble ne plus savoir où donner de la tête. Des débats sur la crise en Côte d’Ivoire (2010/2011) et la guerre civile en Libye (à partir de 2011) surgissent dans l’œuvre. Calixthe Beyala s’est fortement engagée contre l’ingérence occidentale dans ces deux crises. Sans succès hélas, et le goût amer laissé par ces échecs sort de la bouche de ses personnages.

La critique est particulièrement acerbe envers les religions, et notamment le christianisme. Bien que s’appuyant sur des faits réels, cette critique est assez caricaturale. Il en va de la manière dont l’auteure décrit l’Africain qui, au lieu de travailler à améliorer ses conditions de vie s’adonne plutôt à la prière. Un peuple abrutit et sans valeur, perméable à souhait, prêt à toujours plier l’échine, incapable de penser plus loin qu’au pain quotidien. Un peuple con en un mot. Rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux. Ni l’Afrique dont elle est originaire, ni l’Occident où elle vit depuis ses 17 ans, en France notamment. Elle trouve les mots justes pour tourner la religion en dérision et ironiser du Christ. Au passage, elle destine quelques piques acerbes à Françoise Foning, l’ex-mairesse de Douala Vème décédée en janvier 2015.

Ce roman est, au final, un cri de colère sans subtilité. Envers la léthargie des Africains et la prédation des occidentaux. Le style est léger et grave à la fois, parfois ironique sur des sujets sensibles. La romancière utilise des néologismes et tort la langue française pour exprimer des réalités méconnues de l’Académie française. Les psaumes, les prières et les chansons qui émaillent ici et là donnent du souffle au roman, qui n’en devient pas pour autant musical. Au-delà de la caricature, Calixthe Beyala, avec une vingtaine de romans à son actif, continue à affiner son écriture inclassable qui donne à la langue française une nouvelle saveur.
Stéphanie Dongmo

Calixthe Beyala
Le Christ selon l’Afrique
Albin Michel, Paris, 2014

265 pages

vendredi 28 août 2015

Christian Etongo : Sur le chemin de l’art performance

Depuis quelques années, il se consacre essentiellement à cette pratique artistique encore peu connue et pratiquée mais dont il porte bravement l’étendard au Cameroun. Sa démarche artistique est le rituel mystique et sa signature, une poupée nommée Simba. A 43 ans et des rêves plein la tête, il retrousse ses manches et se débroussaille un chemin à l’international. Portrait.

Christian Etongo.
Au quartier Messa-Si où il s’est établi il y a quelques semaines seulement, Raphaël Christian Etongo est monsieur tout le monde. Il passerait certainement inaperçu s’il ne portait cette énorme tignasse rastas. Ce matin de juillet 2015, il a choisi de les garder sous un bonnet au bleu passé. Loin de l’effervescence du centre-ville de Yaoundé à la veille de la visite présidentielle de François Hollande, Christian Etongo nous reçoit avec une grande simplicité dans sa maison. Dépouillée. Car il sait que rien, sur cette terre, ne lui appartient vraiment. Aussi a-t-il appris à vivre dans l’abondance comme dans le dénuement. 

Une philosophie que la vie lui a inculquée à la dure, au prix de mille épreuves. Embrassades de la maîtresse de maison, salutation des quatre enfants et on peut s’installer sur la véranda pour trois heures de conversations qu’on ne verra pas passer. Dans la fraîcheur du climat yaoundéen, le passé se mêle au présent et les mots essaient d’expliquer les ressentis, la bouche parlant de l’abondance du cœur.

Christian Etongo se définit avant tout comme un artiste performeur. Probablement le seul au Cameroun qui se consacre essentiellement à cette discipline pratiquée de manière sporadique par des plasticiens. Un risque de réduction des opportunités qu’il assume pleinement. Heureusement pour lui, « la mayonnaise prend », reconnait-il avec fierté. D’autant plus que la plasticienne nigériane Odun Orimolade a décidé de consacrer sa thèse de doctorat PhD à son travail. Et qu’il multiplie les voyages à l’étranger pour présenter ses créations : Suède, Allemagne, Afrique du Sud, Nigéria, Zimbabwe, Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Belgique, Niger, Pologne. Artiste pluridisciplinaire au départ, il a trouvé en la performance l’aboutissement de toutes ces disciplines qu’il a pratiqué sans grand éclat : danse, théâtre, peinture, installation, littérature, etc.

A l'affiche des Ravy 2014.
Artiste a plusieurs vies
Etongo se produit aussi bien sur scène que dans la rue, au Cameroun et à l’étranger au gré de ses pérégrinations. « Il a beaucoup contribué à écrire les pages de l’art performance au Cameroun », affirme Serge Olivier Fokoua, le promoteur des Rencontres internationales des arts visuels de Yaoundé (Ravy), une biennale qui le révèle en 2010. Même si c’est à partir de 1998 qu’il se lance véritablement dans l’art performance. 17 ans de carrière aujourd’hui fait de haut et de bas, de chute et de relève, de passage à vide et de prise de conscience.

Comme un chat, Christian Etongo a eu plusieurs vies. Avant 1998, il est danseur et comédien. Il passe successivement dans les compagnies Massey move de Berthe Effala dès 1995 et Black Roots de Marcel Ngoua. Dans son travail, il essaie d’inventer des mises en scène qu’il pense originales et appelle ses créations « spectacle d’art plastique ». C’est ainsi qu’en 1997, il présente « La mort et le fou » à Yaoundé. La même année, il rencontre le plasticien Pascale Martine Tayou. Ayant vu son travail, ce dernier lui apprend qu’il fait de l’art performance et lui fournit une documentation qu’il lit minutieusement. A cet instant-là, Etongo comprend que c’est là sa voie et s’y lance à corps perdu. Désormais, il relègue les autres disciplines au second plan. Même s’il continue à pratiquer le théâtre et la danse, allant même jusqu’à porter le titre de directeur artistique de la compagnie de danse Mook, fondée par André Takou Saa.

Mais la vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Etongo présente ses créations ici et là, les cachets sont minables, le futur flou et les charges familiales d’une femme et deux filles pèsent sur ses épaules. A partir de 2005, il traverse une période de doute et de questionnements qui va l’amener à se retirer complètement du milieu artistique. Il rentre donc «au quartier », ouvre une boutique sur les traces de son père commerçant, en même temps qu’il donne des cours de gymnastique.  

Il pense s’être éloigné de la culture mais elle revient toujours à lui. A ses moments perdus, il poursuit ses lectures sur l’art performance et se documente sur les rituels mystiques. Dans cet éloignement, il ne trouve pas satisfaction. Il perd son emploi de prof de gym, sa boutique fait faillite, sa compagne s’en va, ses enfants sont dispersés. Lui-même doit trouver refuge chez un ami, dans le ghetto de Ngoa-Ekelle à Yaoundé où il apprend à se reconstruire. D’abord faire enfin le deuil de sa mère qu’il a perdu en 2000, puis se réconcilier avec lui-même, reconstruire sa vie de famille autour d’une nouvelle compagne et enfin, retrouver l’essence de son être : l’art. Le bilan de sa vie n’est pas élogieux mais il a encore du courage pour se lancer dans la course. Et peut-être prouver à son père déçu que son seul garçon est un homme.

Quartier Sud.
Des séquelles invisibles
Christian Etongo fouille alors dans ses tiroirs et en sort un texte théâtral. « Exil », devenu « Quartier Sud », porte sur l’immigration clandestine et se souvient de milliers d’Africains disparus sur les chemins tortueux de l’Europe. L’artiste s’inspire de l’environnement dans laquelle il vit, où il côtoie au quotidien des jeunes désœuvrés, la misère, le Sida, les délestages, etc. Il s’inspire aussi et surtout de sa propre expérience d’immigré clandestin rapatrié d’Espagne. En 1993, Etongo a 21 ans quand, avec une bande de cinq copains, il décide de tenter l’aventure. Portés par le vent de la feymania dont ils veulent faire métier en Europe, ils traversent le Nigéria, le Niger, l’Algérie et le Maroc. 

La faim, la soif, la rage et la peur ont raison du groupe qui se divise. Mais Etongo sait que « le courage ce n’est pas d’avoir peur mais d’avancer quand il le faut ». Après des mois de galère, lui et deux autres finissent pas trouver de l’argent pour la traversée. A l’embarquement, ils sont interpellés par la garde civile espagnole et placés en maison d’arrêt pendant trois mois. Après quoi, ils sont rapatriés en 1994.

Dans « Quartier Sud » qu’il a présenté une quinzaine de fois, l’artiste relate donc une expérience dont il porte encore les séquelles invisibles. C’est par cette performance qu’il signe son come-back le 29 novembre 2009 au Centre culturel Françis Bebey fondé par Jean-Claude Awono et aujourd’hui fermé. Une date qu’il n’oubliera jamais, car elle est celle de sa seconde naissance artistique. Puis, Urban Village de Daniel Sty-White l’accueille et ensuite, c’est au tour des Rencontres d’arts visuels de Yaoundé (Ravy) de lui ouvrir les bras en avril 2010. Une nouvelle vie s’offre à lui et c’est à deux mains qu’Etongo la saisit.

A ce moment-là, son esthétique est plus aboutie et s’est débarrassée en grande partie du côté spectacle. Il essaie aussi de le codifier et se lance dans le rituel mystique. Il explore des rites béti : le tso, rite expiatoire et purificatoire que sa grand-mère le fait subir à 6 ans et l’essani, dance funéraire. Ce qui effraie parfois un public non averti qui crie alors à la sorcellerie. Surtout que depuis 2011, Etongo a adopté sur scène trois éléments rituels qui forment sa signature : une poupée baptisée Simba qui aurait pu être vaudou, un chasse-mouche par lequel il s’accorde le pouvoir de pratiquer devant témoins un rituel réservé aux initiés et une chasuble rouge, cette couleur renvoyant ici à la vie et non à la mort. « Je me suis rendu compte que j’ai besoin d’éléments rituels comme un prêtre. Ces éléments me permettent de me mettre en condition mentalement et spirituellement. Parfois ils n’interviennent pas directement dans la création mais sont là comme objets scénographiques », explique-t-il.

Etongo et ses éléments rituels.
Introspection
Loin des études en métallurgie qu’il a suivi dans grand enthousiasme jusqu’à ce que la barrière du Cap se dresse sur sa route, son travail de performeur est exploratoire et ses créations s’enrichissent sans fin, d’où les déclinaisons en séries pour chaque création. Pour le plasticien Landry Mbassi, « Etongo est le plasticien qui semble avoir le plus assimilé la notion de l'art performance -si tant est que cette notion peut être circonscrite -. Son regard sur cette discipline est véritablement celui d'un pionnier. C’est un artiste qui, au fil du temps, se construit une identité (visuelle) particulière au travers d'un discours saillant et con textuellement bien étayé »

Pour Serge Olivier Fokoua, le promoteur des Ravy, « il y a beaucoup d'introspection dans ce qu'il fait, mais aussi une violente satire sociétale. Il exécute des actions qui bousculent le conformisme dans des postures tantôt figées, tantôt cérémonials. Je crois que Christian trouve une joie et un immense plaisir à donner des coups de gueule quand la société deviens de plus en plus insupportable ».

L’artiste créé à partir de ce qu’il est, de ses joies et de ses frustrations, de ses peurs et de ses folies. Ainsi, Etongo puise dans son histoire pour créer, comme dans une psychanalyse qui le guérira de ses blessures intérieures et des maladies de son âme. Ainsi, « Requiem pour un fou », qui dénonce l’indifférence de l’homme face aux souffrances de son prochain, a été inspiré par son oncle prit de folie et décédé en 1993 dans l’indifférence. L’immigration, la colonisation et son héritage sont des sujets qu’il aborde, de même que la religion. Baptisé catholique, il ne s’interdit cependant pas de prier Jésus le matin et de convoquer ses ancêtres le soir dans un syncrétisme religieux assumé. « Pour moi, l’être humain doit vivre sur des codes, je veux réhabiliter les rituels mystiques car pour soigner le monde, il ne faut pas que des mots », soutient-il.

Il sait pourtant que ce n’est pas dans le rituel qu’il trouvera les réponses à ses doutes et questionnements existentiels. Même pas dans le bouddhisme qu’il pratique pendant trois ans avant de jeter l’éponge. Il décide alors de vivre sa vie sans plus se poser de question. Il prend conscience que l’artiste est un humain différent des autres, ce qui réussit à l’apaiser. Désormais, il ne souffre plus du regard curieux du prochain, il ne souffre plus de ne pas être compris par sa famille, il ne souffre plus d’une certaine indifférence de son père qui ne l’a jamais vu sur scène. N’empêche, la fêlure demeure, malgré les soins mis à la cacher.

L'artiste laisse fondre une bougie sur son visage.
Le sensationnel n’est pas loin
Etongo travaille avec le son, la lumière, la vidéo et s’adapte à son environnement pour utiliser les klaxons de voiture, les commentaires du public, etc. Son corps est son premier champ d’expression et il use et abuse de chaque centimètre de ses 1,76m. Parce que la performance est l’art, bien que controversé, de transcender ses limites physiques, morales et même spirituelles, Etongo ne se donne aucune borne. Mais se refuse à poser des actes extrêmes sans raison valable. 

Ainsi, sur scène, il égorge un poulet avec les dents, mange un foie cru de poulet, s’asperge de sang de porc, casse des bouteilles et marche sur des tessons à genoux… « Je travaille avec mon instinct, je fais les choses que je sens », affirme l’artiste. Il arrive ainsi que, grisé par l’ambiance du moment, il aille plus loin que prévu. Car la performance est essentiellement improvisation, même si le canevas de la création est réfléchi et bien définit. Ces extrêmes qui l’épuisent tiennent le public en haleine, entre étonnement, admiration et dégoût. La frontière devient tenue entre art et spectacle.

D’après Landry Mbassi, Etongo « se laisse souvent envahir par le sentiment du "too much". La limite à laquelle s'en tenir pour ne pas déborder et tomber dans le sensationnel. L'art performance se distingue du théâtre en ce sens qu'il ne s'agit pas de se constituer en comédien qui répète un rôle dans le but de produire un "message" qui parle au plus grand nombre. Un truc qui flatte les sens, où le public se retrouverait dans une imagerie populaire dont les codes lui sont familiers. En fin de compte, Christian Etongo est encore sur le chemin de l'affirmation d'une stature de performeur ayant trouvé sa voie. Son approche reste très narrative et du coup, manque de second degré. Ce qui n'enlève rien à sa démarche esthétique (artistique), emprunte de positivisme et d'ouverture ».

Performance.
De la profondeur
Sourcils broussailleux au-dessus d’un regard vif, Etongo parle volontiers avec son corps, par de grands gestes. La passion se lit dans chacune de ses phrases, de même que son envie de faire mieux, d’aller beaucoup plus loin. De la véranda de sa maison, des bruits de plats et de cuillères se font entendre et une odeur de sauce tomate et de poisson frit se répand dans l’air. Une vendeuse de nourriture s’est installée dans un restaurant tourne-dos à quelques 5 mètres de là. Cela ne parvient pas à troubler la profondeur des échanges qu’accompagne la douce mélodie des oiseaux nichés sur un manguier qui porte ses derniers fruits de la saison. Etongo continue à se livrer. Sur son envie de laisser quelque chose à la postérité. Mais comment laisser le souvenir d’un art essentiellement éphémère ? Les articles de presse, les photos et les meilleures vidéos ne peuvent pas véritablement restituer une création. « Loin d’être un art éphémère, la performance est pour moi un souffle de vie, une façon de penser, de voir les choses, de réagir », écrit-il sur son site internet en mal d’actualité.

Dans son discours, Christian Etongo convoque souvent le nigérian Jelili Atiku. Il parle avec ferveur de la serbe Marina Abramovic et évoque avec un profond respect l’allemand Peter Beuys dont le travail a influencé sa création «What do you think about contemporary art ? » Ou comment ne pas prendre le public pour un con. Lorsqu’il s’allonge immobile sur le sol avec une bougie allumée jusqu’à ce qu’elle fonde entièrement sur ses lèvres, est-ce de l’art ? Le débat reste ouvert. « La performance, c’est le milieu artistique qui décide que c’est de l’art », soutient Etongo qui aime à dire qu’il n’est pas un artiste. Cette pratique artistique encore mal connue est controversée, ses contours restent flous et l’on a du mal à la catégoriser. La preuve, on la retrouve à l’affiche aussi bien des festivals dédiés aux arts visuels qu’à la danse et au théâtre.

Ici en Afrique du Sud.
Aller beaucoup plus loin
Etongo a pour sa part beaucoup contribué à la vulgariser au Cameroun. Déçu par le système universitaire et ses méthodes d’apprentissages plus théoriques que pratiques, il créé, début 2013, l’espace culturel Kulturotek où il organise trois workshop sur la performance, avec des restitutions dans la rue. Sont sortis de ces ateliers deux jeunes performeurs : Joël Kouemo et Snake Zobel, dont la dernière création a été présentée en juin au quartier Omnisports à Yaoundé. Mais Christian Etongo est souvent absent et l’espace ferme en août 2014. Cependant, l’artiste n’abandonne pas son rêve de formation. Il ambitionne de créer, sur un lopin de terre qu’il a acquis, un espace culturel qui servirait aussi de résidence de création. Un effet de mode chez les artistes camerounais.

Etongo a aussi réussi à faire de la performance une valeur marchande qui lui assure le gros de ses revenus. Qu’il complète par un travail de prof de gym, des mises en scène de pièces théâtrales ou des spectacles performatives à l’occasion de divers évènements privés qu’il n’inscrirait en aucun cas dans son CV. L’artiste estime aujourd’hui avoir atteint la première partie de ses objectifs, qui était d’être reconnu comme performeur. Reste la seconde qui est de rentrer dans des galeries et des institutions majeures internationales. Pour cela, il s’arme de courage et place l’art performance comme priorité   N°1 de sa vie. Il bénéficie pour cela de l’endurance acquise tout le long de sa longue traversée du désert.
Stéphanie Dongmo


Yaoundé : cinéma sans frontière

Le Cinéma Numérique Ambulant (CNA) du Cameroun a organisé, du 21 au 27 août 2015, la 1ère Semaine du cinéma brésilien dans des quartiers de la ville.


La tournée menée avec l’Ambassade du Brésil au Cameroun a posé ses valises dans 7 quartiers populaires : Manguier, Mendong, Simbock, Biyem-Assi, Nkolmeyang, Emana et Oyom-Abang.

Quatre films brésiliens récents ont été diffusés : « Abril despeçado » de Walter Salles, « A grande familia » de Mauricio Farias, « La cité de Dieu » de Fernando Meirelles et « L’homme qui copiait » de Jorge Furtado. Ces films, pour la plupart sous-titrés en français, ont connu un succès mitigé après du public, malgré que l’animatrice du CNA donnait, en simultané à la diffusion, des clés pour comprendre l’intrigue. Le public du plein air étant, par nature, moins réceptif au sous-titrage. Ajouté à cela l’angoisse née des dernières attaques de la secte Boko Haram à Maroua, qui fait que beaucoup rechignent à sortir le soir.

21 août. On lève les verres à la coopération culturelle
Cependant, beaucoup de spectateurs ont agréablement surpris l’équipe du CNA. « Où est Ze Pequeno ? », criait certains lorsqu’ils entendaient parler de cinéma brésilien ; ils se souvenaient encore du personnage du film « La Cité de Dieu », diffusé avec grand succès il y a quelques années à la télévision camerounaise.

D’autres n’ont pas manqué de dire leur satisfaction de voir, sur écran géant, d’autres images du Brésil que celles véhiculées par les telenovelas. « Je ne savais pas que le cinéma brésilien était si riche et si beau, j’ai appris beaucoup de ce film », a d’ailleurs témoigné Clément Tegap, un spectateur après la diffusion de « Avril brisé ».

Avec une histoire métisse qui trouve une partie de ses racines en Afrique et une industrie cinématographique riche et variée, le cinéma brésilien est classé 2ème en Amérique latine derrière l’Argentine. La Semaine du cinéma brésilien à Yaoundé a permis de jeter un pont entre les cultures africaines et latino-américaines, de renforcer la coopération culturelle entre le Cameroun et le Brésil, réduisant du coup les 6000 Km qui sépare les deux pays.

Le public nombreux.
Cette première expérience, d’après le CNA, a été riche en enseignements, qui serviront de base pour l’élaboration de prochains projets de promotion du cinéma brésilien, et bien sûr, d’autres cinématographies qui méritent que l’on s’y intéresse.

Le Cinéma Numérique Ambulant se consacre aux cinémas d’Afrique. Mais depuis quelques années déjà, il mène une réflexion quant à la possibilité, ou, mieux, l’intérêt d’ouvrir ses portes à d’autres cinématographies. S’il est vrai que l’Afrique a besoin de consommer ses propres images, il est aussi vrai qu’on a besoin de connaître les autres pour se définir à l’ère de la mondialisation.

  
Echanges avec le public à la fin de la projection.
Les cinémas d’ailleurs, qui ont connu bien des difficultés avant de trouver leur voie et d’asseoir de véritables industries, pourraient servir de modèle aux cinématographies africaines qui cherchent encore leur voie, entre industrie et débrouillardise.

Créé en janvier 2012, le CNA Cameroun fait partie d’un réseau d’associations de cinéma mobile né en 2001 et installé dans dix pays : Bénin, Mali, Niger, France, Sénégal, Tunisie, Togo, Tchad, Burkina Faso et Cameroun. Leur objet est la diffusion des films du patrimoine cinématographique africain, mais aussi des films de sensibilisation destinés à informer les populations sur les graves problèmes de santé, de société et de développement qu’elles rencontrent.
Stéphanie Dongmo

mercredi 8 juillet 2015

Cinéma : Les leçons de vie d’Emil Abossolo Mbo

L’acteur camerounais a rencontré une dizaine d’aspirants comédiens et réalisateurs le 25 mai au siège du Programme 237 travellin’ à Yaoundé, pour un échange à bâtons rompus. Il a entretenu les participants à cette rencontre sur le jeu d’acteur, mais surtout sur la vie et le sens des choses.

Emil Abossolo Mbo

Artiste pluri-disciplinaire, Emil Abossolo Mbo est né à Mengong en 1958. Après un passage remarqué au Théâtre Universitaire de Yaoundé, il s’installe en France en 1984. On le voit aussi bien sur les planches qu’à l’écran au cinéma et à la télévision. Il est acteur, comédien, conteur, metteur en scène.
Lorsqu’il ouvre la bouche pour s’exprimer, aussi bien en français qu’en anglais, il se dégage de tout son être une énergie presque palpable. Il parle avec des mots, mais aussi avec chaque partie de son corps, et laisse s’échapper les choses longtemps mûries à l’intérieur. Ses phrases résonnent avec une certaine poésie.
Et c’est avec enthousiasme qu’il partage son expérience d’être humain toujours en quête d’un mieux-être au monde. D’entrée de jeu, il prévient : « Je ne suis pas un prêcheur, je ne suis pas ici pour vous enseigner des choses que vous ne savez pas, je suis venu apprendre de vous, nous sommes ensemble dans la quête du savoir».
Rêve, partage, identité sont des mots qui reviennent de façon récurrente dans son discours. En maître à vivre, il partage généreusement le fruit de ses recherches sur lui-même, sur l’humain,  sur la vie. Morceaux choisis.

Sur les rêves
« Ton rêve est ton bien le plus précieux, il vaut plus que de l’argent, il ne faut jamais le vendre. Toutes les réalisations partent d’un rêve. Nous sommes des êtres d’avenir, nous ne devons jamais laisser tomber nos rêves. Nous manquons parfois de relais pour les transmettre. Mais si tu mets toute ton énergie, toute ton attention, tout ton pouvoir dans la construction de ton rêve, alors il s’envolera et quelqu’un le remarquera un jour. Il faut croire en quelque chose».

Sur la réussite

« Dans la vie, il n’y a pas d’échec, pas de victoire. Il n’y a que la quête. La réussite c’est d’être sur ce qu’on veut faire, de se donner les moyens de le faire. Il faut toujours rester positif, toujours dire : je ne l’ai pas encore fait plutôt que je ne l’ai pas fait. Ne jamais fermer la porte, se concevoir comme quelqu’un qui a la solution. Il faut transmettre à son enfant que tout est possible et que, même si nous n’y sommes pas arrivé, lui va y arriver ».

Sur la transmission
« En Afrique, il y a un manque de transmission entre les générations, on est sous éduqué par l’école occidentale. Sur qui nous appuyons nous, culturellement, quand nous allons à l’international ? Je constate que les gens qui font dans l’art ne sont pas en contact avec les jeunes qui veulent faire comme eux. A chaque génération, on recommence à zéro comme si on n’avait pas d’aîné. Mes aînés ne m’ont rien transmis. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans les livres ».

Sur nos cultures
« Nos langues enrichissent notre travail. Tout ce que nous avons besoin de savoir sont dans nos langues, c’est pourquoi il faut savoir parler sa langue. Je suis parti en France à 27 ans, au mois d’août j’en aurai 57. Mais la France ne m’a pas changé, la France ne peut pas me changer. On doit se réapproprier nos langues, nos cultures et nous y appuyer pour faire des films. Apprenons à connaître et à aimer notre pays ».

Sur le jeu d’acteur
« Comme acteur ou comme interprète, on donne un point de vue et non une vérité. Etre acteur, ce n’est pas faire le zozo sur scène, c’est agir et non subir. Tous les mouvements de l’acteur, toute sa manière d’être raconte une histoire. Cette histoire que les gens ratent dans la vie quotidienne, il faut qu’ils puissent la comprendre à l’écran. Il faut avoir l’art du conteur pour captiver l’attention, tenir les gens par le souffle. Il faut avoir l’histoire à l’intérieur de soi et contaminer les autres. Apprendre à jouer c’est apprendre à gérer ses émotions, même quand on est seul, c’est apprendre à être un meilleur humain. En tant qu’acteur, on a besoin de se préparer énormément, de s’imprégner complètement du rôle. Si tu réalises un film et que tu n’as jamais fait l’acteur, tu ne peux pas comprendre comment filmer un acteur ».

Sur le vivre au monde
« Le monde est plus uni qu’on pourrait le croire. Je cautionne un système où tout le monde est égal à tout le monde. Nous travaillons pour construire un monde meilleur. On n’a pas besoin de combattre les autres ni d’avoir peur des autres. Les mains ne sont pas faites pour tuer mais pour construire le monde qui cherche la tranquillité, la paix. L’un des moyens les plus formidables de changer le monde est de faire bien les choses.
La première énergie renouvelable et écologique est humaine. Il n’y a que l’humain pour prendre soin de l’humain. Nous pensons toujours à nous, pas aux générations futures. Si on n’est pas main dans la main avec les femmes, on ne peut pas faire avancer un pays.
Toute activité économique est d’abord culturelle. L’argent doit toujours être un bon ami ou un bon esclave, jamais un maître. Il faut refuser que les autres vous imposent leur rythme, c’est à vous d’imposer votre rythme au monde. Le diamant originel c’est vous, vous êtes des tailleurs de diamant ».
Stéphanie Dongmo 

Bio expresse

Abossolo Mbo au cinéma
Ezra de Newton I. Aduaka, Qui sème le vent de Fred Garson, Les Savates du bon Dieu de Jean Claude Brisseau, Juju Factory de Balufu Bakupa Kanyinda, Night on earth de Jim Jarmush, Si le vent soulève les sables de Marion Hansël, Africa Paradis de Sylvestre Amoussou, Les Saignantes de Jean Pierre Bekolo, Un Homme qui crie de Mahamat Saleh Haroun, Black Mic Mac 2 de Marco Pauly, Tourbillons d’Alain Gomis, etc. 

Abossolo Mbo au théâtre
La tragédie du roi Christophe de Jacques Nichet, La tragédie d’Hamlet de Peter Brook, Quelqu'un pour veiller sur moi d’Etienne Pommeret, L’île des esclaves d’Elisabeth Chailloux, Andromaque de Daniel Mesguich, Boesman Lena et Champs de son d’Emil Abossolo Mbo, etc.