mercredi 8 juillet 2015

Cinéma : Les leçons de vie d’Emil Abossolo Mbo

L’acteur camerounais a rencontré une dizaine d’aspirants comédiens et réalisateurs le 25 mai au siège du Programme 237 travellin’ à Yaoundé, pour un échange à bâtons rompus. Il a entretenu les participants à cette rencontre sur le jeu d’acteur, mais surtout sur la vie et le sens des choses.

Emil Abossolo Mbo

Artiste pluri-disciplinaire, Emil Abossolo Mbo est né à Mengong en 1958. Après un passage remarqué au Théâtre Universitaire de Yaoundé, il s’installe en France en 1984. On le voit aussi bien sur les planches qu’à l’écran au cinéma et à la télévision. Il est acteur, comédien, conteur, metteur en scène.
Lorsqu’il ouvre la bouche pour s’exprimer, aussi bien en français qu’en anglais, il se dégage de tout son être une énergie presque palpable. Il parle avec des mots, mais aussi avec chaque partie de son corps, et laisse s’échapper les choses longtemps mûries à l’intérieur. Ses phrases résonnent avec une certaine poésie.
Et c’est avec enthousiasme qu’il partage son expérience d’être humain toujours en quête d’un mieux-être au monde. D’entrée de jeu, il prévient : « Je ne suis pas un prêcheur, je ne suis pas ici pour vous enseigner des choses que vous ne savez pas, je suis venu apprendre de vous, nous sommes ensemble dans la quête du savoir».
Rêve, partage, identité sont des mots qui reviennent de façon récurrente dans son discours. En maître à vivre, il partage généreusement le fruit de ses recherches sur lui-même, sur l’humain,  sur la vie. Morceaux choisis.

Sur les rêves
« Ton rêve est ton bien le plus précieux, il vaut plus que de l’argent, il ne faut jamais le vendre. Toutes les réalisations partent d’un rêve. Nous sommes des êtres d’avenir, nous ne devons jamais laisser tomber nos rêves. Nous manquons parfois de relais pour les transmettre. Mais si tu mets toute ton énergie, toute ton attention, tout ton pouvoir dans la construction de ton rêve, alors il s’envolera et quelqu’un le remarquera un jour. Il faut croire en quelque chose».

Sur la réussite

« Dans la vie, il n’y a pas d’échec, pas de victoire. Il n’y a que la quête. La réussite c’est d’être sur ce qu’on veut faire, de se donner les moyens de le faire. Il faut toujours rester positif, toujours dire : je ne l’ai pas encore fait plutôt que je ne l’ai pas fait. Ne jamais fermer la porte, se concevoir comme quelqu’un qui a la solution. Il faut transmettre à son enfant que tout est possible et que, même si nous n’y sommes pas arrivé, lui va y arriver ».

Sur la transmission
« En Afrique, il y a un manque de transmission entre les générations, on est sous éduqué par l’école occidentale. Sur qui nous appuyons nous, culturellement, quand nous allons à l’international ? Je constate que les gens qui font dans l’art ne sont pas en contact avec les jeunes qui veulent faire comme eux. A chaque génération, on recommence à zéro comme si on n’avait pas d’aîné. Mes aînés ne m’ont rien transmis. Tout ce que je sais, je l’ai appris dans les livres ».

Sur nos cultures
« Nos langues enrichissent notre travail. Tout ce que nous avons besoin de savoir sont dans nos langues, c’est pourquoi il faut savoir parler sa langue. Je suis parti en France à 27 ans, au mois d’août j’en aurai 57. Mais la France ne m’a pas changé, la France ne peut pas me changer. On doit se réapproprier nos langues, nos cultures et nous y appuyer pour faire des films. Apprenons à connaître et à aimer notre pays ».

Sur le jeu d’acteur
« Comme acteur ou comme interprète, on donne un point de vue et non une vérité. Etre acteur, ce n’est pas faire le zozo sur scène, c’est agir et non subir. Tous les mouvements de l’acteur, toute sa manière d’être raconte une histoire. Cette histoire que les gens ratent dans la vie quotidienne, il faut qu’ils puissent la comprendre à l’écran. Il faut avoir l’art du conteur pour captiver l’attention, tenir les gens par le souffle. Il faut avoir l’histoire à l’intérieur de soi et contaminer les autres. Apprendre à jouer c’est apprendre à gérer ses émotions, même quand on est seul, c’est apprendre à être un meilleur humain. En tant qu’acteur, on a besoin de se préparer énormément, de s’imprégner complètement du rôle. Si tu réalises un film et que tu n’as jamais fait l’acteur, tu ne peux pas comprendre comment filmer un acteur ».

Sur le vivre au monde
« Le monde est plus uni qu’on pourrait le croire. Je cautionne un système où tout le monde est égal à tout le monde. Nous travaillons pour construire un monde meilleur. On n’a pas besoin de combattre les autres ni d’avoir peur des autres. Les mains ne sont pas faites pour tuer mais pour construire le monde qui cherche la tranquillité, la paix. L’un des moyens les plus formidables de changer le monde est de faire bien les choses.
La première énergie renouvelable et écologique est humaine. Il n’y a que l’humain pour prendre soin de l’humain. Nous pensons toujours à nous, pas aux générations futures. Si on n’est pas main dans la main avec les femmes, on ne peut pas faire avancer un pays.
Toute activité économique est d’abord culturelle. L’argent doit toujours être un bon ami ou un bon esclave, jamais un maître. Il faut refuser que les autres vous imposent leur rythme, c’est à vous d’imposer votre rythme au monde. Le diamant originel c’est vous, vous êtes des tailleurs de diamant ».
Stéphanie Dongmo 

Bio expresse

Abossolo Mbo au cinéma
Ezra de Newton I. Aduaka, Qui sème le vent de Fred Garson, Les Savates du bon Dieu de Jean Claude Brisseau, Juju Factory de Balufu Bakupa Kanyinda, Night on earth de Jim Jarmush, Si le vent soulève les sables de Marion Hansël, Africa Paradis de Sylvestre Amoussou, Les Saignantes de Jean Pierre Bekolo, Un Homme qui crie de Mahamat Saleh Haroun, Black Mic Mac 2 de Marco Pauly, Tourbillons d’Alain Gomis, etc. 

Abossolo Mbo au théâtre
La tragédie du roi Christophe de Jacques Nichet, La tragédie d’Hamlet de Peter Brook, Quelqu'un pour veiller sur moi d’Etienne Pommeret, L’île des esclaves d’Elisabeth Chailloux, Andromaque de Daniel Mesguich, Boesman Lena et Champs de son d’Emil Abossolo Mbo, etc.


jeudi 2 juillet 2015

Littérature : Des contes de grand-mère

La metteure en scène Marlise Bété partage avec le grand public des contes qui lui ont été transmis par sa grand-mère Maaga dans un livre paru aux éditions Ifrikiya à Yaoundé en 2014.

Marlise Bété

Il était une fois un vigneron nommé Bouboulou. Il était si chiche qu’il n’avait ni ami ni épouse. Un jour, il tomba malade et refusa d’aller à l’hôpital se soigner, pour ne pas dépenser son l’argent. Après sa mort, les villageois découvrirent de grosses liasses d’argent dans sa maison situé au village Baham, dont le musicien Saint Bruno avait déjà tiré l’avarice comme trait caractéristique. Hasard ? Cliché en tout cas.

C’est, ainsi résumé, le premier récit que nous propose Marlise Bété dans son recueil « Contes de Maaga », publié en 2014 aux éditions Ifrikiya. Un recueil constitué de 7 textes courts qui racontent des hommes et des femmes, des situations de vie au village et en ville. Certains sont ordinaires. Dans d’autres, le fantastique côtoie l’extraordinaire. Certains sont originaux. D’autres dégagent un air de déjà entendu.

C’est le cas de « Momkaya la petite orpheline » qui rappelle à la fois « La cuillère cassée » de Birago Diop (Sénégal) et « Cendrillon » de Charles Perrault (France) : une petite orpheline est recueillie en ville par sa tante qui, avec ses deux enfants paresseux, la maltraite. Un jour, la tante la chasse de la maison avec l’ordre de lui rapporter ses bijoux (pourtant volés par son fils). La malheureuse rencontre sa bonne fée qui, ici, est une sœur de l’Eglise catholique qui lui enseigne à tricoter. Elle finit par croiser le chemin du prince qui va tomber amoureux d’elle et l’épouser, au grand dam de sa tante et de ses cousins à qui elle va accorder son pardon.

Un happy end qui n’est pas le cas de toutes les histoires développées dans ce recueil. L’un des contes les mieux relatés est assurément celui intitulé « La famille souris ». Des souris, méchantes et terribles sèment la terreur dans un village, au point d’arracher le sexe d’une femme pendant son sommeil. Après des recherches, il s’avère que c’est la famille Koagne, très pieuse en apparence, qui se transforme en souris pour nuire au village. La description des pratiques de sorcellerie ici est très minutieuse, presque effrayante.

Les pieds ancrés dans le présent
Malgré leur côté fantastique, les contes de Marlise Bété ont les pieds bien ancrés dans le monde d’aujourd’hui, ils épousent ses problèmes et ses contradictions. Les contes de Maaga dénoncent les tares de la société (l’avarice, la méchanceté, la maltraitance, le bavardage, la jalousie, la curiosité…) pour prôner des valeurs essentielles: la gentillesse, le travail acharné, le pardon, la pondérance, le respect de la vie humaine…. Pour chaque conte, on peut titrer plusieurs moralités. Et comme toujours dans ce genre littéraire, le héros positif finit toujours par vaincre le héros négatif.

Marlise Bété écrit des textes pour le théâtre et donc, pour l’oralité. Elle les a d’ailleurs dits auparavant à des enfants à l’Institut français de Yaoundé, à l’occasion du programme «L’heure du conte ». Les formules d’usage sont bien présentes : « il était une fois », « il y avait une fois… » De même que des expressions très camerounaises : « Ma femme laisse-moi comme ça », « Yah ! », « Ah ka ! », « courir dans un sac », etc… Ce patrimoine qu’elle restitue avec ses mots et une narration qui lui sont propres, la conteuse l’a en grande partie hérité de sa grand-mère bienaimée Maaga.

« Quand nous étions tout petits, nous allions très souvent passer des vacances au village, aux côtés de Maaga, ma grand-mère maternelle. Elle nous racontait des histoires. Quand nous n’allions pas chez elle, c’était chez MaaBatsè, notre grand-père paternelle. Elle n’était pas du tout drôle. Mais elle nous racontait quand même quelques histoires quand bon lui semblait », écrit-elle en introduction. Les deux femmes venant de cultures différentes, Marlise Bété a hérité de la culture mandeng et bamiléké.

Les illustrations signées Chourouk Hriech et la mise en page aérée du livre rendent agréable la lecture. En noir et blanc, ces croquis surréalistes pour la plupart finissent de planter le décor du mythe. Et c’est avec beaucoup de plaisir que nous nous replongeons en enfance à travers ces contes, à savourer sans modération et sans limite d’âge.
Stéphanie Dongmo

Marlise Bété
Les contes de Maaga
Editions Ifrikiya

Juin 2014